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Encre Nocturne   

Assassin [-13] [Prologue+Chapitre 1]

Pako | Publié le dim 17 Sep 2017 - 22:31 | 1117 Vues

Prologue : Charlie Countryman

 Je m’appelle Malia Botterfield, j’ai 15 ans. Mes parents sont morts dans un accident de voiture quand j’avais 3 ans. Je réside donc au foyer du docteur Bill Jones, et mon éducateur référent est Sébastien Soleris.

Enfin, ça, c’est ce qui est écrit dans mon état civil officiel.

 Officieusement, je suis Charlie Countryman, j’ai 16 ans et 50 semaines. Mes parents ont été assassinés. Je suis liée à l’Organisation, dans le centre du docteur Bill Jones, depuis que j’ai 4 ans. Mon maître est Sébastien Silverlight, et je suis rang 14.

 Aux yeux de la loi, le foyer du docteur Jones est un orphelinat comme les autres. Mais pour le roi, notre employeur, c’est un repaire d’assassins. Ses tueurs à gages, agents secrets, espions, surdoués. J’en fais partie. J’ai déjà tué pour mon pays, même si mon apprentissage n’est pas encore terminé. J’ai tué des hommes d’affaires, des femmes influentes, des chefs d’états insoumis, de grandes personnalités dérangeantes. Le roi, Théodore Steinway, est sans scrupules.

 Sébastien Silverlight, mon maître, s’occupe de moi depuis mes premiers souvenirs, à mes 4 ans. Il m’a appris tout ce que je sais actuellement. Il m’a transmis sa maitrise de l'art de se battre au sabre, mais je sais aussi utiliser l'épée, le pistolet, l'arc, la rapière, la hache, le fléau et bien d'autres armes de jet et de corps à corps. Mon arme de prédilection reste néanmoins le katana et je porte toujours deux dagues et un poignard sur moi.

 Mon maître est l'un des meilleurs éléments de l’Organisation. Il est rang 27. Je lui voue une admiration sans bornes, mon objectif est de le surpasser.

 Je suis actuellement rang 14. Sébastien m’a promis que lorsque je serais rang 15, il me laissera me débrouiller seule, et ne viendra plus avec moi pour mes missions. Pour l’instant, il me laisse juste faire mes repérages seule et vérifie mes données avant qu’on parte en mission.

 Nous n’avons pas choisi de faire ce que nous faisons. Mais nous n’avons pas d’échappatoire. Nous devons être insensibles. Nous sommes formatés pour suivre les ordres, pas pour réfléchir. On ne conteste pas, on ne pense pas. On écoute et on tue. Les membres de l’Organisation l’ont tous bien compris. Si on transgresse les règles, si on ne suit pas les ordres, c’est la mort. Si on hésite, si on ne tue pas, c’est la mort.

 Nous n’existons pas. Personne n’est au courant de nos activités, à part celui qui nous contrôle : Théodore Steinway, le roi. En apparence, nous ne sommes qu’un foyer comme les autres. Mais la vérité est toute autre. Quand on devient majeur, on devient aux yeux de la loi des éducateurs. Mais quand on devient assez fort, on devient entraîneur, et on enseigne ce qu’on sait à des élèves qui deviendront comme nous. Invincibles, insensibles, inébranlables. De véritables machines à tuer

 

  Chapitre 1 : Sébastien Silverlight

 J'esquive le coup venant de la gauche, frappe vers la droite. Je vole dans la poussière avant d'avoir pu comprendre ce qu'il se passait. Je me relève, me remets en garde face à mon adversaire. Les cris fusent de toutes parts autour de moi, les parieurs sont surexcités. Je jette un rapide coup d'œil vers le premier rang et croise le regard de mon maître, qui hoche imperceptiblement la tête. C'est parti.

 J'attaque de front, feinte, touche le colosse en face de moi dans l'abdomen. Il se plie en deux, le souffle coupé sous la violence du choc. Je me glisse derrière lui en un éclair, lui assène un nouveau coup du tranchant de la main, et il tombe, inconscient. Je me redresse et salue mon public hurlant, avant de m'éclipser discrètement. Je rejoins Sébastien qui m'attends devant la porte de l'arène des paris. Mon maître me lance une bourse remplie de pièces d'or que j'accroche à ma ceinture.

 -Pas mal. Tu aurais pu aller plus vite. On reviendra demain.

 -Sébastien, pourquoi dois-je continuer de combattre à l'arène ? Je gagne à chaque fois et je dois toujours retenir mes coups pour ne pas tuer mes adversaires en quelques secondes.

 -Ne surestime pas tes forces. Tu arrêteras de combattre dans cette arène quand tu ne te feras plus toucher une seule fois et que tu pourras les étaler avec une main attachée dans le dos. Pas avant.

 Je ne proteste pas, sachant que de toute façon il démontera mes arguments. Si Sébastien décide que je dois encore me battre dans l'arène, je continuerai à me battre dans l'arène.

 Nous empruntons les ruelles des bas-quartiers pour rapidement remonter dans la partie riche d'Asogno, la capitale du pays. Les différences sociales sont énormes. La ville haute rassemble les quartiers riches qui sont luxuriants, mêlant adroitement architectures audacieuses de passerelles suspendues, tours de verre et palais massifs de pierre de taille. Ils suintent de richesse(s) et les bourgeois qui y vivent n'hésitent pas à faire étalage de leur argent. Mais le revers de la médaille n'est pas beau à voir. Le luxe et la richesse a eu pour conséquence de créer les quartiers malfamés dans la ville basse.

Toute la périphérie de la cité est un repaire de pauvres et de malfrats qui doivent voler et tuer pour survivre. Les bas-quartiers sont un immense bidonville, les maisons sont construites avec des morceaux de tôle trouvés çà et là, et la loi du plus fort y règne en maître. 

 Sébastien m'emmène souvent chercher la bagarre dans les quartiers pauvres, mais aussi escalader les tours de verre et les palais des quartiers riches. Il dit qu'il faut que je puisse m'adapter à toutes les sociétés.

 Le palais royal se dresse en plein cœur de la ville. Dans la journée, les portes des épaisses murailles qui l'entourent sont ouvertes, laissant entrer les courtisans assoiffés de pouvoir et d'argent, mais la nuit, le palais est farouchement gardé par les Chevaliers d'Or, la garde rapprochée du roi. Ce sont de fiers guerriers. Ils sont à l'opposé de notre Organisation. Ils vivent dans le prestige et la lumière, tandis que nous agissons dans l'ombre. Mais nous sommes tout aussi utiles qu'eux.

 Mon maître m'entraine dans une ruelle à l'écart. Nous passons sous un pont, contournons le canal d'égout. Sébastien se plante enfin face à un mur lisse comme du verre, humide et couvert de mousse.

 -Escalade-le et retrouve-moi au foyer. Tu as une demi-heure.

 Sébastien disparaît de ma vue. Je regarde autour de moi. Je sais exactement où je me trouve, mais le foyer est à beaucoup plus d'une demi-heure de marche d'ici. Je soupire. Encore un exercice impossible pour tester ma capacité à obéir aux ordres, les plus stupides soient-t-ils.

 Je me mets à escalader le mur. Je glisse sans arrêt et progresse centimètre par centimètre. C'est trop lent. Je cherche des prises solides, plante mes orteils et mes doigts le plus profondément possible dans les interstices des briques grises. Après un long quart d'heure d'efforts, je parviens enfin en haut du mur.

 J'essuie mes mains poisseuses sur mon pantalon de toile et observe les alentours. Je suis au-dessus de la plupart des toits de la ville basse, j'ai donc une parfaite visibilité sur ma destination. Il ne me reste plus qu'un quart d'heure pour y arriver.

 Je m'élance, sautant de toits en toits, glissant sur les plaques de verglas qui constellent la route que je me suis tracé(e). Je me réceptionne maladroitement sur un toit et bascule en arrière. Je glisse jusqu'au bord, me rattrape de justesse à la gouttière. Je lâche un juron et me hisse sur les tuiles à la force des bras. Mes muscles endoloris me font mal, néanmoins je ne m'arrête pas. Si j'arrive en retard, qui sait ce que Sébastien fera subir à mes muscles ?

 Je continue de sauter, puis arrive enfin en vue du foyer. Je me laisse glisser le long d'un mur, prenant appui sur un appui de fenêtre avant de sauter au sol. Ma course se poursuit dans l'air glacé, le plus vite que je peux. J'arrive devant les grilles austères de ce qui est depuis toujours ma maison. Sébastien m’attend, les mains enfoncées dans les poches de sa veste d'uniforme, son souffle créant de la brume autour de sa bouche.

-Trois minutes de retard, égale trois minutes de gainage plus trente pompes. Maintenant.

 J'obéis et me place en position sur les pavés glacés. Je bande tous les muscles de mon corps au maximum, tiens le coup jusqu'au top de mon maître. Sans me laisser le temps de reprendre ma respiration, j'enchaine les pompes. Les dix dernière sont les plus dures. Alors que j'en suis à vingt-sept, Sébastien vient m'écraser le nez contre le sol.

 -Ça c'est une pompe ! Je veux que ton front touche les pavés à chaque descente ! Recommence !

 J'obéis une fois de plus. Trente pompes, de nouveau, avec mon front qui vient se salir sur la boue qui recouvre les pavés. Sans me plaindre. Me plaindre serait une marque de faiblesse. Je suis forte.

 Je finis mes pompes en nage. Mon maître ne m'accorde pas un regard et rentre dans la cour plantée d'ormes majestueux. Il se plante devant le plus haut d'entre eux.

 -Je veux te voir en haut de cet arbre dans une minute. Top départ, assène-t-il en regardant sa montre.

 Je m'élance et agrippe le tronc lisse. J'attrape la première branche avec soulagement et me glisse jusqu'au sommet aisément. L'exercice le moins difficile depuis ce matin. Je regarde en bas. Sébastien est déjà reparti vers la façade.

 -Je veux que tu ailles jusqu'à l'entrée principale sans toucher le sol. Trois minutes, Top départ.

 Je prends appui sur ma branche avec les pieds et me propulse vers la face de du bâtiment. Je me réceptionne tant bien que mal sur un appui de fenêtre et commence à progresser, les orteils posés sur une corniche de quelques centimètres et les doigts en extension pour m'accrocher à celle d'au-dessus. J'avance lentement, puis accélère une fois que mon corps a assimilé le mouvement. Je progresse jusqu'à la grande porte de l'entrée principale, au-dessus de laquelle se trouve l'inscription « foyer de la grande Sentinelle ». Calant mes pieds dans le creux du « F », je commence la désescalade de la porte, puis saute au sol, devant Sébastien.

 -Très bien, deux secondes d'avance. Tu progresses. La prochaine fois tu n'auras que deux minutes trente pour cet exercice. Je te libère, c'est l'heure pour toi d'aller en cours.

 Je hoche la tête et rentre dans le grand bâtiment. Avant d'aller en cours, je monte jusqu'à ma chambre et prends serviette de toilette et nouveaux vêtements. Je me glisse dans le couloir jusqu'aux douches communes. Normalement elles sont vides à cette heure-ci. Manque de bol, quand je pousse la porte je tombe sur Aris en train de se déshabiller. Je rentre dans la salle de bains sans lui accorder un regard et me dirige vers la douche du fond. Je déteste ces douches mixtes.

 Je me lave rapidement, me sèche et m'habille, sentant le regard d'Aris posé sur moi.

 -Jolies formes, Charlie ! T'es passée au rouleau compresseur avant ta douche ? me lance-t-il en riant, soulignant mon absence totale de formes féminines.

 Je le fusille du regard et finit de m'habiller. Si ce n'était pas interdit par le règlement, je ne me serai pas gênée pour lui mettre une bonne correction.

 Je descends au réfectoire, passe au self et m'assois à une table. Je suis bientôt rejointe par mes deux seuls amis, Thibault et Matthieu. Ils sont tous les deux dans ma classe. Thibault est deuxième du classement, tandis que Matthieu est troisième et que je suis première.

 Matthieu a dix kilos de trop, des bourrelets tout autour du ventre. Il est dispensé d'entrainement physique, mais il est surdoué. C'est le meilleur pour élaborer des stratégies et trouver des plans. Je lui demande souvent conseil pour faire mes repérages.

 Thibault quant à lui est tout en finesse. Il n'a pas la carrure ou la masse musculaire de certains de nos camarades, mais il tire parti de sa petite taille pour déstabiliser ses opposants et retourner leur force contre eux.

 -Salut Charlie, t'as l'air en forme aujourd'hui dis-moi ? demande Matthieu, ironique devant ma mine renfrognée.

 Je maugrée que j'ai croisé Aris à la salle de bains. Thibault rit.

 -Et tu t'es fait torturer par Sébastien ce matin, ajoute-t-il, moqueur.

 -Matthieu, la ferme, tu n'as pas d'entrainement physique, tu n'as aucune idée de la souffrance qu'on endure tous les jours, réplique Thibault en me lançant un regard entendu.

 -D'ailleurs, comment se passe ton entrainement avec Reykja ? demandé-je à mon ami.

 -C'est horrible, elle est de plus en plus sévère, sous prétexte qu'elle pense que je m'intéresse plus aux filles qu'à l'entrainement. Ce matin elle m'a fait ramper des faubourgs jusqu'ici, en t-shirt et caleçon. J'ai cru que j'allais mourir de froid. Après elle m'a fait escalader la tour ouest du palais, toujours à poil, avant de provoquer une bagarre avec les gardes pour exhibitionnisme. J'avais envie de la tuer. Et toi, quelles réjouissances tu as eu programme ?

 -Je suis allée faire quelques combats à l'arène, j'ai dû escalader un mur lisse et plein de mousse des bas-quartiers puis rentrer ici en une demi-heure. J'ai dû passer par les toits, glisser sur des plaques de verglas. Comme j'étais en retard, j'ai dû faire trois minutes de gainage et trente pompes. Comme il trouvait que mes pompes ne descendaient pas assez j'ai dû les recommencer en appuyant mon front dans la boue. J'ai eu droit à l'escalade de l'arbre et à revenir jusqu'à la porte principale sans toucher le sol.

 -Pas mal votre programme les gars, intervient Matthieu, des étoiles dans les yeux.

 Matthieu a toujours été admiratif de tout ce qu'on arrive à faire avec un physique comme le nôtre et de l'inventivité de nos maitres respectifs pour nous torturer.

 -Moi ce matin j'ai fait des maths, de la physique, j'ai dû élaborer des plans à 'en plus finir, apprendre des cartes et des bouquins par cœur, lire cent pages du manuel et faire du travail de copiste. Et Sein m'a obligé à faire un quart d’heure de course autour du parc. J'ai bien cru que j'allais vomir mes poumons.

 Nous finissons de manger dans un silence confortable. Puis la cloche sonne, et l'après-midi commence. Nous devons aller en cours d'histoire, de français, de mathématiques et de physique. Deux heures par matière. Nous sortons de là avec le cerveau empli de nouvelles connaissances. Après une courte pause d'un quart d'heure, nous partageons le repas du soir, avant de nous séparer pour chacun retourner voir nos maitres respectifs. Je salue mes amis d'un geste de la main et pars vers le parc.

 Je rejoins Sébastien sous l'orme de ce matin. Il me lance un regard joyeux. On dirait un gamin qui a eu exactement ce qu'il voulait pour son anniversaire.

 -Qu'est-ce qu'il se passe ? demandé-je en voyant son sourire.

 -Reykja m'a donné une nouvelle idée d'exercice qu'elle a expérimenté ce matin sur Thibault. Je pense qu'il a dû t'en parler.

 Sébastien sort un short de son sac et me le tend.

 -Change toi. Short, débardeur, sous-vêtements. Rien d'autre.

 -Pas de chaussures ?

 -Non, pas de chaussures.

 Je soupire et entreprends de me déshabiller. Je finis d'enlever mes chaussure et Sébastien est déjà parti dans les rues de la ville.

 -Où est-ce qu'on va ? demandé-je en lui suivant en courant.

 -Tu verras bien !

 Je le suis sans broncher, frissonnante. Je crois que je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie. Mon maître ne se retourne pas une fois avant d'être arrivé à destination. Les contreforts de la muraille du château. Il fait une halte et entreprends de se déshabiller. Seulement vêtu d'un short, il commence l'ascension du mur devant nous. Je le suis, coinçant mes mains et mes pieds dans les jointures glacées des pierres. Arrivés en haut du mur, mon maître jette un œil sur le chemin de ronde pour vérifier l'absence de gardes, puis saute par-dessus les créneaux. Il se glisse dans les ombres naissantes de la soirée, passant inaperçu. Je me faufile derrière lui, aussi discrète que possible. Il fait halte devant une intersection, lance un regard dans l'angle, puis avance une fois qu'il sait que nous ne sommes pas repérés. Il me guide ainsi jusqu'à un mur parfaitement lisse de plusieurs dizaines de mètres de haut. La tour ouest du palais royal.

 Elle est faite de Jade, et c'est la plus lisse des quatre tours d'enceinte. Les maîtres du foyer adorent nous la faire escalader. Seulement un interstice tous les cinq mètres, et quelques rares fissures, ainsi qu'une étroite corniche à la moitié de la hauteur.

 Je souffle sur mes mains glacées pour essayer de les réchauffer un tant soit peu. Sébastien a déjà commencé à grimper.

 -Tu viens ? Dépêche-toi, plus tu arrives après moi et plus j'aurai le temps de t'inventer des exercices pour occuper le reste de la soirée ! lance-t-il en se retournant.

 Je m'agrippe à une première fissure minuscule et cale mes pieds contre les créneaux. Je me plaque contre la surface de jade glacé et frisonne. Il faut que je continue. Je coince mes doigts gelés dans un interstice de quelques millimètres et me hisse à la force des bras.

 Je continue de progresser, centimètre après centimètre, jusqu'à la corniche de verre qui m'offre un répit de quelques secondes.

 -Allez, dépêche-toi ! m'apostrophe Sébastien, déjà installé confortablement sur le rebord du toit, les jambes pendant dans le vide au-dessus de moi.

 Je soupire et reprends mon ascension. J'ai les muscles en feu, les doigts et les orteils engourdis. Je sens que je ne vais pas arriver au bout.

 La pulpe de mon doigt se déchire soudain sur le bord coupant d'une fissure, et je crie de douleur en lâchant ma prise dans un réflexe idiot. Je me retrouve suspendue à la tour par une main, les doigts coincés dans un repli de quelques millimètres couverts de glace. Je sens ma main qui glisse. Il faut que je fasse quelque chose maintenant ou je tomberai. Je force sur mon biceps et me projette vers le haut de toute mes forces, crochète la corniche du toit, presque deux mètres au-dessus de moi. Je m'y suspends des deux mains avant d'effectuer une dernière traction pour me hisser sur le toit lisse.

 Sébastien me lance un regard dans lequel je lis de la fierté.

 -Pas mal pour une première fois ! J'étais curieux de voir comment tu allais t'en sortir quand ta main a lâché !

 Je grommelle en mettant mon doigt dans ma bouche pour sucer la goutte de sang qui s'en échappe. Je regarde le sol en dessous de moi, une quarantaine de mètres plus bas et frissonne. Une chute aurait été mortelle, et Sébastien ne serait pas venu à mon secours.

 Une main ma saisit le menton et me fait redresser la tête.

 -Regarde un peu autour de toi au lieu de te plaindre intérieurement.

 Le soleil couchant fait étinceler les tours de verre de la ville haute, créant un kaléidoscope de couleurs chatoyantes. Les passerelles rayonnent, les tours brillent de mille feux. C’est magnifique. On peut y voir jusqu'aux confins des ruelles de la ville basse. 

 -Tu vois, on ne fait pas que vous torturer, sourit mon maître. C'est pour ça qu'on aime bien vous faire escalader cette tour le soir, ajoute-t-il.

 J'esquisse un sourire. Je suis en train de vivre un rare moment de clame et de sérénité avec mon maître. Puis je me rappelle que nous sommes en plein hiver et que je meurs de froid. Je resserre mes bras autour de moi en grelottant.

 -On redescend ? me lance mon maître.

 Je soupire. La descente promet d'être longue et douloureuse. Alors que je me redresse et que je me place en position de désescalade au bord du toit, mon maitre me tire par le bras.

 -Non, pas par là, ça serait trop simple.

 Il s'élance alors et cours jusqu'au bord opposé, quelques mètres plus loin, et saute dans le vide. Je le perds de vue quelques instants avant de l'apercevoir sur le mur d'enceinte, debout sur les créneaux.

 Je me penche pour essayer de comprendre comment il a fait pour sauter de quarante mètres de haut. Et je saisis. Il a sauté, crocheté le bord du toit de la tour des gardes puis s'est propulsé vers le haut à l'aide de l'étendard. Et c'est à mon tour de le faire.

 Je retourne de l'autre côté de la tour, souffle pour me calmer et m'élance dans le vide. J'attrape de justesse le bord de la tour en dessous de moi, me hisse avec les bras vers le porte-drapeau auquel je me suspends, avant de faire des mouvements de va-et-vient pour me redonner de l'élan. Quand je sens que j'ai accumulé assez de puissance, je lâche la barre en fer et me propulse vers les remparts.

 Je ne suis pas assez haut. Je me retourne dans l'air pour venir cogner mes pieds contre la paroi, et non mon visage. Quand je sens l'onde de choc se déverser dans mes chevilles puis dans mes jambes, je me redresse et attrape le bord des créneaux avec les mains, avant de faire une traction pour venir poser mon buste sur les remparts et rouler en sécurité sur le chemin de ronde.

 Je reste quelques secondes étendue sur les pierres froides, attendant que la douleur disparaisse de mes jambes et de mes bras, et reprenant mon souffle. Puis je me relève en grimaçant, cherchant Sébastien, qui est hors de vue.

 Ce n'est que quand j'entends le cliquetis des armures que je comprends. Les gardes de nuit arrivent, et je ferai mieux de disparaitre, sinon je vais devoir me battre. Ce que je ne suis pas en état de faire.

 Je cours jusqu'au bord de la muraille, passe les créneaux extérieurs et entreprends de faire la désescalade du mur d'enceinte. J'entends les pas des gardes au-dessus de moi, me plaque contre les pierres glacées et retiens mon souffle jusqu'à ce qu'ils s'éloignent, puis continue de descendre.

 Je me mets à courir dès que je touche le sol, retournant me mettre à couvert dans les ruelles. Je me retourne ensuite et observe l'enceinte du palais. Aucune trace de Sébastien. Peu importe, je ne peux pas rester immobile plus de quelques secondes sans être glacée par le vent qui s'est levé. Je décide de rentrer au foyer.

 Je cours dans les ruelles froides, ne croisant presque personne. À cette heure-ci, je ne pourrai croiser que des gardes, et finir en prison pour avoir dépassé le couvre-feu.

 J'aperçois enfin la grille fermée du foyer. Je l'escalade rapidement et rentre dans le grand hall plongé dans la pénombre. Le veilleur de nuit braque sa lampe vers moi, m'éblouissant.

 -Charlie. Où est ton maître ? tu n'es pas autorisée à sortir seule après le couvre-feu.

 -Je ne sais pas où est Sébastien, il m'a laissée seule sur le mur d'enceinte du palais.

 -Et qu'est-ce que tu fous à poil, bon dieu ? Non, je ne veux pas savoir. Monte te coucher.

 J'obéis et monte rapidement les escaliers jusqu'à ma chambre. La lumière est allumée dans le couloir de mon étage. Étrange. Quand je pousse la porte de l'escalier, je comprends. Un garçon que je reconnais comme étant Jamie est étalé par terre, le nez en sang. Assis sur lui à califourchon se tient Thibault, torse nu, le poing levé, prêt à frapper. Autour d'eux s'est formé un cercle de curieux qui encouragent Thibault.

 Je bouge en un éclair et attrape le poignet de mon ami une demi-seconde avant qu'il ne frappe.

 -Thibault, qu'est-ce que c'est que ce bordel ? grogné-je entre mes dents.

 -Lâche-moi, Charlie, répond-il sans même me regarder. Je vais démolir cette lopette.

 -Ça suffit ! assène une voix venant de l'autre côté du couloir.

 Sébastien est sur nous en quelques secondes, m'envoie valdinguer d'un coup de pied, prend Thibault à la gorge et le plaque contre le mur, ainsi que Jamie, qu'il redresse à la seule force de son bras gauche.

 -Je veux voir tout le monde dans sa chambre dans trente secondes. Sauf toi, Charlie.

 Tout le monde obéit à l'ordre de Sébastien et le couloir se vide immédiatement. Je me redresse rapidement et observe la scène, à l'écart.

 -Thibault, je veux que tu m'explique de qui s'est passé.

 Mon maître relâche mon ami qui retombe sur ses pieds en se frottant la gorge.

 -Il ne s'est rien passé du tout.

 -Thibault !

 C'est la première fois que j'entends Sébastien s'énerver. Il me terrifie.

 -Je te dis qu'il ne s'est rien passé ! crie Thibault à son tour.

 La tête de mon ami part sur le côté et va heurter violemment le mur sous le coup de Sébastien, qui se tourne vers Jamie.

 -Jamie, peut-être que tu seras plus intelligent que ton camarade ?

 -Il ne s'est rien passé.

 Sébastien soupire en se frottant le visage.

 -Puisque vous ne voulez rien dire... j'envisageais de ne pas vous envoyer chez Jones et de m'occuper moi-même de votre punition, mais si vous insistez, je suis sûr que notre cher directeur sera ravi d'être réveillé à une heure du matin pour une bagarre.

 Les deux fautifs se regardent et Jamie hoche la tête.

 -Très bien..., commence Thibault. Jamie a débarqué dans ma chambre vers minuit, et a commencé à.… me toucher, ajoute-t-il après un instant d'hésitation. Je l'ai foutu dehors et je lui ai mis une droite. C'est tout.

 Jamie hoche la tête en détournant le regard.

 -Jamie, je pense que tu as compris la leçon et que tu ne recommenceras pas une chose aussi débile. Thibault, quant à toi, il faut que tu apprennes à te contrôler. Vous allez tous les deux me faire deux séries de trente pompes, maintenant, pendant que je réfléchis à votre punition. Charlie, fais-les aussi, ça t'occupera.

 -Pourquoi est-ce que je ne peux pas aller me coucher ? Je ne suis pour rien dans leur bagarre ! m'écrié-je sans réfléchir.

 -Parce que je l'ai décidé, et parce que tu es partie de notre entrainement en esquivant un combat que je t'avais spécialement concocté. Fais-en trois séries pour insubordination, et estime-toi heureuse de ne pas subir pire, me répond-il d'une voix glaciale.

 Je m'exécute immédiatement et commence ma première série de pompes aux côtés des deux garçons. Mes muscles me font mal dès la cinquième pompe. Je grimace mais continue néanmoins, sous le regard de Sébastien.

 Je commence à flancher à la vingtième descente. Les garçons ont déjà fini leurs deux séries. Je souffle pour me détendre et me mets en gainage quelques secondes pour reposer mes biceps et faire passer la tension dans mes abdominaux.

 -Jamie, tu seras de corvée nettoyage de douche tous les soirs pendant six mois. Thibault, tu te chargeras de balayer la cour tous les matins pendant trois mois.

 Les deux garçons se placent au garde-à-vous en soupirant. Le directeur Jones aurait été beaucoup moins clément et les aurait mis à pied tous les deux pendant au moins deux semaines, avant de leur donner les corvées de nettoyage, ou pire, la cuisine.

 Je me reconcentre sur mes pompes. Je viens de finir la première série, et me laisse tomber au sol en soufflant. J'ai droit à une minute de répit avant de commencer la prochaine.

 -Les garçons, dans vos chambres.

 Ils obéissent immédiatement, terrifiés à l'idée que Sébastien ne leur donne encore de l'entrainement. Quant à moi, je commence ma deuxième série.

 -Charlie... Pourquoi as-tu évité le combat avec les gardes ?

 -Parce que... tu m'as toujours... appris à être discrète. Et un combat... contre la garde... d'Or n'aurait... pas été très discret, dis-je en haletant.

 Il ne me reste plus que Dix pompes.

 -Bien ! et pourquoi est-tu rentrée ici quand tu ne m'as pas vu aux alentours du château ?

 Je finis ma série avant de lui répondre.

 -Dans l'attente d'ordres et en l'absence d'un supérieur, je suis dans l'obligation de rentrer à la base.

 -Très bien ! Dernière question : Pourquoi as-tu empêché Thibault de frapper Jamie ?

 -Parce que Thibault et Jamie sont deux très bons éléments et que nous ne pouvons pas nous permettre qu'ils soient blessés ou mis à pied pour une simple bagarre. Si tu n'avais pas été là, nous aurions étouffé l'affaire et personne n'en aurait jamais eu connaissance.

 -Bravo Charlie ! Tu échappes à la troisième série de pompes. Va te coucher, rendez-vous demain matin à 7 heures dans la cour.

 Mon maître le tend la main pour m'aider à me relever, et je file dans ma chambre sans demander mon reste. Je me change en quatrième vitesse, enfilant un pantalon et un t-shirt de coton léger. Je fais quelques étirements pour éviter les courbatures et me glisse sous ma couette avec ravissement, avant de tomber dans un sommeil réparateur.



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