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Encre Nocturne   

[-13/15] Entre les Portes et les Mondes

Le Molosse | Publié le dim 10 Sep 2017 - 17:49 | 1088 Vues

Prologue


Il faisait froid.

Très froid.

Cette année, l’hiver, particulièrement rigoureux, dissuadait les habitants de s’aventurer dehors. Les fenêtres, calfeutrées afin d’empêcher l’invasion du froid, les volets fermés, puis surtout, le silence achevaient de décourager la seule folle ayant eu l’idée d’affronter les températures extrêmes. Elle souffla sur ses mains à la peau sombre, afin de les réchauffer, puis elle reprit sa route.

Ne pas s’arrêter, elle ne devait pas s’arrêter. Sinon, elle mourrait. Cette idée la fit sourire. Elle avait affronté mille périls et elle allait finir sa vie ici, dans cet endroit aussi morne que son village natal.

Les rares arbres, dépourvus de feuilles à cette période de l’année, faisaient office de refuges aux corvidés.

La femme observait, songeuse, pendant un instant les retardataires s’installer pour la nuit, croasser une dernière fois avant de glisser la tête sous leur plumage aussi sombre que le ciel.

Les rues, recouvertes d’une épaisse couche de neige étaient désertes. Aucune trace de vie humaine.

Aucune trace de vie, tout court.

Une vraie patinoire qui rendait la démarche de la femme hasardeuse et maladroite.
Une brise se faufila entre son manteau bleu nuit et sa chair, lui tirant un frisson qui se transforme rapidement en grelottement.

Les extrémités de ses mains bleuissaient sous l’effet du froid tandis que ses pieds risquaient de se briser au moindre choc. Du moins, elle en était persuadée.

Epuisée, mais aussi affamée et frigorifiée, il fallait qu’elle trouve un endroit où dormir. Rapidement. Mais où ? Ce paysage était aussi vide qu’un cœur de Gremlock !

La neige craquait sous ses pas tandis qu’elle poursuivait sa route. Soudain, un flocon, plus téméraire que les autres, termina sa route sur son nez, avant de fondre rapidement et de laisser une trace d’eau derrière lui. La femme l’essuya d’un revers de main avant de resserrer son manteau, espérant ainsi garder le peu de chaleur qu’il lui restait.

Soudain, la montée s’acheva sur une maison. Une grande bâtisse dont les extérieurs ne semblaient pas avoir été entretenus depuis bien longtemps. Revigorée par la vue d’une cheminée fumante, la femme courut jusque la porte et frappa trois fois…

**

Chapitre 1

Des coups frappés contre la porte tirèrent Maowelle de sa lecture. Intriguée, elle se leva du canapé dans lequel elle était lovée, referma son livre puis le posa sur la table, présente face à la cheminée qui diffusait une chaleur agréable dans la pièce. Puis, elle éteignit le gramophone, posé sur la table située à côté d'elle, remplaçant ainsi les dernières notes du violon qu'elle aimait tant écouter par un silence glacial. La jeune femme enfila rapidement une robe de chambre bordeaux faisant ressortir ses yeux pâle, presque blancs contrastant avec une peau dont le hâle estival disparaissait au fur et à mesure que l’hiver avançait. Puis, elle se dirigea vers le hall d’entrée plongé dans l’obscurité.

Qui pouvait avoir envie de lui rendre visite à cette heure ? Surtout par ce froid !
La jeune femme rectifia aussitôt sa pensée : Qui pourrait avoir envie de lui rendre visite tout simplement ?

En réalité, sans qu’elle ne sache réellement pourquoi, tous les villageois de Pender Stram, avaient haï sa famille, elle incluse.
Maowelle avait même songé à déménager afin de ne plus subir cette haine vorace qui avait ravagé sa vie. Qui nourrissait sa vie.
Mais pour aller où ? Pour dormir dans la rue et mourir de froid ?
Pourquoi quelqu’un aurait subitement envie de lui accorder son amitié ?
Tout le monde l’évitait et c’était mieux ainsi. Au moins, elle avait la tranquillité, même si cela induisait être seule. Maowelle avait toujours connu cette fidèle compagne qu’était la solitude. Elle avait même appris à l’aimer avec le temps.

Pourquoi cela changerait maintenant ?

Maowelle secoua sa tête parsemée de cheveux, courts et légèrement ondulés, d’un blond très clair, presque blanc, afin de chasser ces pensées moroses de son esprit.

Puis, intriguée, elle alluma une chandelle, ouvrit la porte, et vit une femme beaucoup plus petite qu’elle, un mètre cinquante environ, vêtue d’un épais manteau bleu nuit, qui grelottait. Maowelle jeta un bref regard derrière la femme. Dehors, le ciel chargé allié aux températures négatives et un vent de plus en plus violent, annonçait une tempête de neige.

- Bonjour, dit la femme d’une voix éraillée. Je m’appelle Noï et je suis Conteuse. Pourriez-vous m’accorder l’asile pour cette nuit en échange d’histoires de voyages s’il vous plait ?

Le teint noir mettant en valeur deux yeux de flamme, les cheveux courts, en pétard, elle semblait avoir un coucher de soleil permanent sur la tête. De plus en plus intriguée, la maîtresse des lieux s’effaça afin de la laisser entrer. La dénommée Noï la remercia puis, la maîtresse des lieux la débarrassa de son manteau.

Peu habituée à recevoir de la visite, Maowelle s’interrogea sur la conduite à tenir.

- Venez vous réchauffer, proposa-t-elle d’un ton qu’elle voulait chaleureux à sa visiteuse.

Sur ces mots, elle mena Noï au travers du hall plongé dans la pénombre, jusqu’à la pièce à vivre où crépitait un feu rassurant. La Conteuse s’assit sur le canapé que son hôtesse lui rapprocha. Puis, Maowelle se hâta d’aller chercher des couvertures et des vêtements secs qu’elle tendit à sa visiteuse, qui, sans se soucier des règles de pudeur, s’assit sur le fauteuil et se déshabilla révélant ainsi une peau noire couverte de tatouages.

Soudain…

Maowelle secoua la tête.

Impossible !

- Les tatouages ! s’écria-t-elle sous l’effet de la surprise.

Noï sourit puis enfila le pull de laine rouge par-dessus le pantalon noir.
- Ils sont… ils sont vivants ! s’exclama-t-elle, effrayée et fascinée.
- Ah oui ! dit Noï comme s’il s’agissait de la chose la plus normale, ce sont des Gremlocks !

Maowelle haussa un sourcil interrogateur.
Des Gremlocks ? Qu’est-ce que c’est que ces choses ?
Sans doute devenait-elle folle car les tatouages avaient disparu.
Disparu ?

Jugeant préférable de s’abstenir de tout commentaire désobligeant, la jeune femme s’empara de la tunique d’hiver noire que Noï portait à son arrivée, puis, d’un geste qu’elle voulait assuré, elle la mit à sécher près de la cheminée en compagnie de son manteau. Puis, soucieuse de bien faire, la jeune femme tendit une couverture grise à la Conteuse.

Un silence gênant, seulement rompu par le crépitement du feu dans la cheminée, venait de s’installer entre elles.

Noï, qui venait de finir de se vêtir, offrit ses mains aux baisers des flammes afin de les
réchauffer tandis que Maowelle s’interrogeait encore sur la véracité de ce qu’elle venait de voir. Finalement, elle inspira profondément et expira :

- Vous avez faim ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle voulait chaleureuse.

Maowelle croisa le regard de flammes de la Conteuse et tressaillit. Envoûtée, la maîtresse des lieux se laissa emporter…

*
* *
Un monde de flammes et de chaleur.

Maowelle tressaillit. Son cœur battait la chamade. Maowelle sentait cette chaleur, elle pouvait presque la toucher.

Un univers de douceur et de passion.

Devenue souffrance, Maowelle sentit ses yeux s’embuer. Qu’aurait-elle donné pour ressentir à nouveau cette douceur ? Entendre à nouveau cette voix douce qui protégeait ses nuits d’enfant ?

Noï s’offrait aux vents, aux océans, à la terre et aux flammes, comme certains s’abandonnaient dans les bras de leurs amants. Heureuse. La Conteuse respirait le bonheur.

Maowelle sentit son estomac se nouer, son cœur s’alourdir quand elle constata que sa propre vie n’était que glace et ténèbres.

Depuis quand sa vie avait-elle cessé d’en être une ?

Depuis quand la jeune femme survivait-elle au lieu de vivre ?

*
* *
[justify]Un contact, pareil à une caresse, fit exploser la torpeur dans laquelle Maowelle venait de plonger. La jeune femme secoua la tête afin de renouer avec la réalité et vit l’inquiétude briller dans les yeux de Noï ainsi que sa main sur la sienne.

Une main douce, aussi légère qu’une plume.
Maowelle tressaillit en même temps que son cœur se déchirait.

Une caresse sur son front.
Un baiser sur sa joue.
Un sourire aussi lumineux que le soleil et les étoiles.
Bonheur.

Puis…
Le vide, le noir et les ténèbres…

La jeune femme secoua la tête afin de chasser ces pensées moroses :

- Ça va ? demanda la Conteuse, d’une voix douce.
- Oui, oui, s’empressa de répondre Maowelle, dans l’objectif d’éviter toutes questions embarrassantes.

Trop fine, Noï n’insista pas et laissa le voile disparaître des yeux de son hôtesse.
Le silence glacial reprit ses droits.

Maowelle inspira.

Expira.

- Vous avez faim ? demanda à nouveau Maowelle, comme pour dissiper cette gêne installée entre elles.

Noï toussa avant de déplier la couverture grise et de s’enrouler dedans.

- Non, je ne veux pas déranger, fit-elle, un sourire las aux lèvres. Je vais aller directement dormir.
- Vous ne dérangez pas, s’empressa de répondre Maowelle en esquissant une piètre tentative de sourire.

Noï le lui rendit, se leva du fauteuil dans lequel elle était lovée, ôta la couverture de son corps et suivit Maowelle dans la cuisine. La maîtresse des lieux mena la Conteuse dans une pièce plus petite que la précédente, mais aussi plus froide et plus sombre, sans doute à cause de l’ampoule, présente au-dessus de leurs têtes, semblant sur le point de défaillir et de l’absence de moyen de chauffage. Un poêle à pétrole était pourtant présent mais semblait hors d’usage. Maowelle dénicha une miche de pain sur la table de bois usé, ainsi qu’une carafe d’eau. Puis, elle posa deux morceaux de viande dans des assiettes blanches, aux côtés de quelques légumes. Ensuite, la jeune femme tendit des couverts à sa visiteuse, attendant d’être invitée à s’asseoir, et l’enjoignit à prendre place à côté d’elle. Noï prit place, remercia encore une fois son hôtesse et commença à manger. La première partie du repas se déroula en silence, et seuls les claquements des couverts contre les assiettes furent audibles. Maowelle était intriguée par cette femme et ne put s’empêcher de lui jeter de fréquents coups d’œil. Soudain, leurs regards se croisèrent et la Conteuse sourit :

- Dis-moi, je ne crois pas que nous ne nous soyons présentées. Je m’appelle Noï.
- Maowelle, fit la maîtresse des lieux, d’une voix méfiante.

La jeune femme sentit ses muscles se raidir. Cependant, quelque chose en Noï l’apaisa et l’aida à se détendre un peu.

- Et, aimerais-tu entendre une histoire, Maowelle ? poursuivit la Conteuse d’une voix douce et chaude.

Non !

Le regard de Maowelle se rembrunit. Un voile dans ses yeux l’écarta de la réalité. La jeune femme se laissa alors submerger par la vague de souvenirs qui déferla…

Un souvenir tendre d’une maison accueillante…
Un jour d’été aussi chaud que la chaleur du foyer…

La petite fille avait cinq ans et riait aux éclats sous les regards tendres de ses parents, assis sous un arbre bleu nuit dont les feuilles rouge commençaient à tomber. Soudain, l’homme – comment s’appelait-il déjà ? – se leva, courut vers sa petite fille et la prit dans ses bras, pour le plus grand bonheur de Maowelle et la fit tournoyer autour de lui.

- Encore ! cria la petite fille, les yeux brillants, en s’agrippant à la barbe blonde de celui qu’elle considérait comme son protecteur.


Le cœur de Maowelle se déchira au fur et à mesure que les digues présentes en elle cédaient.

Depuis combien de temps n’avait-elle pas connu la douceur d’un rire ? Le son de cette voix enchanteresse et ce ton de miel qui adoucit les nuits d'hiver et réchauffe son cœur d’enfant ?

Ce visage doux, entouré de boucles de feu.

Ces yeux pâles, identiques à ceux de Maowelle…

Elinor.

Un seul prénom pouvait-il être empreint d’une joie et d’une tristesse infinie ?


- Veux-tu que je te lise l’histoire de la fée Malone et des étoiles ? demanda la voix mélodieuse.
- Oui ! répondit l’enfant, excitée.

Non !

Un terrible malheur. Plus de rêves.
Plus de couleurs.
Plus d’histoires…

Plus rien sauf le vide.

Depuis combien de temps n’avait-elle pas entendu d’histoires qui embellissaient ses nuits et ses rêves d’enfant ?

Est-ce qu’une simple Conteuse, aurait le pouvoir de raviver l’espoir perdu en elle ?

Cette dernière inspira profondément et attendit que les battements de son cœur se calment avant de répondre d’une voix tremblante :

- Je… veux bien, répondit-elle.

Les deux femmes prirent place sur un fauteuil présent face à la cheminée. Puis, Noï sourit et tira un grand livre à la couverture de cuir élimée, de la poche du manteau séchant près de la cheminée. Puis, sous le regard intrigué de Maowelle, la Conteuse l’ouvrit, laissant ainsi voir des pages jaunies par le temps. La lettrine de la première page représentait un I tracé dans une branche de cerisier en fleur. Noï fit signe à sa jeune hôtesse de s’approcher. Intriguée et inquiète à la fois, Maowelle s’approcha jusqu’à pouvoir sentir la chaleur du corps de sa visiteuse et son parfum, un étonnant mélange d’air frais et d’aventures.

De plus en plus curieuse, elle se pencha et tenta de déchiffrer les caractères délicatement entrelacés qui recouvraient les pages. La Conteuse inspira profondément et effleura doucement ces dernières. Puis, devinant la question de Maowelle, elle lui désigna du doigt la reliure du livre qui se teintait d’or.

La jeune femme, stupéfaite, ouvrit de grands yeux.

Non !

Impossible !

Pourtant, une lueur déchira les pages de l’ouvrage et devint boule de lumière blanche, porteuse d’une sérénité infinies et d’une promesse d’aventures, comme lorsque Maowelle était enfant. De la fumée jaillit.

Cependant, cette fois, la magie n’opéra pas. La jeune femme recula :

- Viens, l’enjoignit Noï en tapotant légèrement le fauteuil.

Maowelle recula encore d’un pas:

- Non ! cria-t-elle, effrayée. Vous… vous m’avez menti ! Vous m’aviez dit que vous alliez me raconter une histoire !
- Un Conteur ne se contente pas de raconter des histoires, Maowelle. Il les vit et les fait vivre, expliqua Noï avec douceur.

Comment ce prodige était possible ?

- Tu as beaucoup souffert. Je le sens au fond de ton cœur, reprit la Conteuse d’une voix enchanteresse destinée à apaiser sa jeune hôtesse.

Chaque mot de la Conteuse toucha sa cible.
Maowelle vacilla, et, sans la poigne de Noï, se serait effondrée sous le poids de sentiments trop longtemps enfouis au fond d’elle-même.

Comme sa forteresse.
Comme sa vie depuis ce terrible malheur.
Comme ses certitudes.

Noï ouvrit les bras et Maowelle, se sentit attirée par la chaleur qui émanait de la Conteuse. Cependant, quelque chose la poussait à refuser cette étreinte et l’empêchait de totalement s’abandonner à ses émotions. L’aura de la Conteuse, puis sa respiration sereine, apaisèrent doucement la méfiance de la jeune femme qui s’approcha. Noï, elle demeurait immobile, un peu comme si elle avait peur d’effrayer sa jeune hôtesse. Finalement, Maowelle se tint face à Noï, incertaine du comportement à adopter, et effleura la main gauche de la Conteuse. Puis, elle laissa ses doigts parcourir les lignes ornant la paume fripée de cette dernière et, esquissa un bref sourire :

- Je me souviens que j’adorais m’improviser voyante et lire les lignes de la main de ma mère. Nous… nous avions aussi un tarot et une fausse boule de cristal qui nous permettaient d’aménager une vraie roulotte, dit-elle, d’une voix nostalgique.

Noï ne dit rien face à la confidence de sa jeune hôtesse qui finit par se blottir dans ses bras. La Conteuse referma les bras autour de la jeune femme et lui murmura des douces paroles à l’oreille, destinées à l’apaiser.

Puis, des émotions que la jeune femme avait crues enterrées au fond de son être, la submergèrent d’un coup, faisant rouler sur ses joues, des larmes qu’elle ne put refouler.

Délicates perles salées, devenues porteuses d’un fardeau trop lourd.

Noï la laissa extérioriser pendant ce qui semblait être des heures, sans se soucier du livre posé au sol, ni de sa lumière transperçant l’obscurité. Puis, Maowelle releva doucement la tête et plongea son regard dans celui de la Conteuse afin d’y puiser sérénité et sécurité.

La respiration de la jeune femme s’apaisa puis, elle reprit le livre et le tendit à la Conteuse.

Echange fugace.

Intemporel.

La voix de la Conteuse s’éleva dans l’air, douce et chaude :

- Il était une fois, Ramlin. Pourquoi j’ai choisi de raconter son histoire ? Parce que cette jeune femme a bouleversé son destin.

Maowelle, déjà captivée par la Conteuse voulait entendre la suite. Soudain, à sa grande surprise, la fumée laissa place à un Marché animé où le soleil déchirait les ténèbres.

- Ramlin vit dans un monde nommé Aloph. Dans l’univers, il n’est que poussière tout comme Avan et Bethel, pour imposants soient-ils, ne sont qu’étoiles.
- Avan et Bethel ? releva Maowelle, intriguée.
- Oui, les deux soleils d’Aloph. Avan annonce l’aube tandis que Bethel se lève une heure plus tard. Ramlin vivait à Karan, la plus grande ville d’Aloph, dans un grand palais de diamant. Issue de la haute bourgeoisie, et princesse héritière de surcroît, tout la destinait à devenir reine, comme ses parents et ses ancêtres avant elle, et rien ne semblait pouvoir changer le destin de cette jeune fille. Rien, sauf le hasard. Et, le hasard a bien fait les choses ici.

Aussitôt, la rue laissa place à une jeune fille au teint noir, reflet de sa chevelure aux couleurs de la nuit, dont les yeux automne semblaient… éteints. Elle regardait la longue robe bleue, triste et…

- Elle semble bien malheureuse pour une future reine, remarqua Maowelle, prise d’un élan de compassion qui la surprit.
- Une personne peut être riche, et promise à un destin fabuleux, cependant, si ce n’est pas le sien, elle sera malheureuse comme cette pauvre Ramlin. La jeune femme aimait s’habiller de vêtements colorés similaires à ceux des Conteurs, et détestait l’aristocratie, même si, selon sa mère, elle présentait bien dans un salon. Pendant des années, ses parents ont fait venir des Conteurs dans leur palais afin de distraire leurs deux filles. Mais pour Ramlin, il s’agissait de bien plus qu’un simple divertissement. Son cœur frémissait d’excitation, et l’enfant qu’elle n’avait jamais cessé d’être se réjouissait d’avance de ces visites. Ramlin était une rêveuse. Elle aimait entendre, écrire, lire et raconter des histoires. Elle a toujours aimé cela. Puis, l’année de ses dix-sept ans, ses parents décrétèrent que plus aucun Conteur ne viendrait. La vie colorée de Ramlin vira alors au gris. Désenchantée, une maturité naissante écrasa peu à peu l’enfant qui était en elle.

Le portrait de Ramlin laissa place à une chambre plongée dans l’obscurité. Spacieuse, avec un lit taillé dans l’or, la chambre était tout simplement féerique. Maowelle, subjuguée se laissa happer par la magie des lieux. Du sol de cristal en passant par le plafond, représentant le cosmos jusqu’aux murs changeant de couleurs, tout respirait la magie. La jeune femme sourit. La magie. Depuis combien de temps avait-elle banni cet élément de sa vie ? Maowelle esquissa un sourire et secoua la tête.

- Nous étions à deux jours de son couronnement. Ses parents, en prévision d’une éventuelle fuite, lui avaient interdit de sortir de sa chambre et posté un garde à l’entrée de cette dernière. Comme tu peux le deviner, la jeune princesse ne faisait pas partie de ceux qui obéissaient aveuglément. Aussi, une dispute l’opposa à sa famille et la princesse attendit la nuit pour quitter sa chambre par la fenêtre, vêtue de la même manière qu’un Conteur par-dessous une cape bleue nuit. Il ne restait quelques heures avant que le jour se lève et que la rue ne s’anime. Ramlin, le visage dissimulé sous un capuchon, se dirigea donc vers le Marché, lieu de toutes les rencontres. Avan n’annonçait pas encore l’aube que les marchands s’affairaient déjà. Certains venaient même d’achever de monter leurs étals et hélaient leurs voisins. Tout ce brouhaha fascinait la jeune princesse, davantage habituée aux ambiances paisibles propices aux études.

Maowelle avait sous les yeux une rue animée, plongée dans la pénombre où une jeune femme, vêtue de vêtements de belle coupe contrastait avec la pauvreté de certains habitants. La jeune femme pouvait presque humer les odeurs émanant des stands de nourriture, d’encens ou de fragrances. Elle était à Karan, avec Ramlin. Elle suivait la jeune femme jusqu’à la fontaine ornant la place centrale de la ville. Intriguée par un attroupement peu ordinaire, la princesse s’avança, et s’assit parmi les gens venus écouter l’orateur, debout sur la fontaine afin de mieux captiver les foules. Maowelle s’approcha, suivie par Noï, et vit un jeune homme au teint pâle dont les yeux aussi sombres que ses cheveux, reflétaient un étonnant mélange de liberté durement conquise, de passions et de soif d’aventures.

- Ramlin ignorait encore tout de lui à ce moment, y compris son prénom. Elle savait juste qu’il était Conteur, tels ceux qu’elle avait connu dans son enfance. Le cœur de la princesse bondissait de joie à l’idée de revoir un de ces personnages à la joie de vivre inaltérable. Mais surtout, dans son cœur, l’écho d’une voie trouvée, d’une sensation de plénitude, résonnait avec force.
- Une sensation de plénitude ? releva Maowelle.
- Oui, répondit Noï en hochant la tête. Souviens-toi, Ramlin était destinée à devenir reine. Il n’y avait donc aucune place pour l’enfant et la rêveuse qu’elle était.
- Elle est devenue Conteuse ? demanda la jeune femme, excitée et pressée d’entendre la suite.

Noï sourit face à l’impatience de Maowelle mais ne répondit pas immédiatement à sa question :

- Pendant longtemps, la princesse écouta le Conteur, subjuguée et émerveillée par les mondes qu’il laissait entrevoir, même après que l’attroupement se soit dissipé. Ils marchèrent longtemps ensemble, discutèrent, parlèrent de leurs vies respectives, du futur dont ils rêvaient, mais aussi se turent car, leurs êtres arpentaient un même chemin. De cette conversation était née une certitude dans l’esprit de Ramlin : Elle deviendrait Conteuse. Phénor la raccompagna chez elle. Puis, il lui fit une proposition qui chamboulerait à jamais son destin : Celle de devenir son mentor et donc, de partir avec lui. Ramlin accepta. Ce fut le cœur rempli de joie et de couleurs que la princesse rentra chez elle au moment où la Lune de Givre avait détrôné les soleils. Elle reprit le chemin inverse, fourra dans un sac de toiles ses livres de contes, ses pantalons sarouels, des robes simples et des capes, lorsqu’Enole, sa sœur cadette la surprit.

- Tu es finalement revenue, lui jeta-elle sur un ton dédaigneux.
- Non je pars, répliqua la princesse. Définitivement.

Ramlin avait toujours eu des relations houleuses avec sa sœur cadette. Aussi, elle ne prit pas le temps de se changer et s’enfuit de nouveau par la fenêtre au moment où Enole appelait la garde afin de leur signaler la fuite de la princesse héritière.

- Du coup, comment a fait Ramlin ? Elle a pu partir ? demanda Maowelle dont le cœur battait au même rythme que l’histoire de Noï.
Au moment où elle formulait cette question, un parc, bien entretenu apparu. Dans ses allées rectilignes, patrouillaient des sentinelles qui discutaient entre elles.

- Devenue Conteuse, Ramlin put berner la vigilance des sentinelles qui avaient oublié que les Conteurs n’étaient plus admis au palais depuis bien longtemps.
- S’est-elle déguisée ?
- Non, Maowelle. Beaucoup ont oublié qu’être Conteur n’est pas un chemin sans dangers. Enchanteurs, charmeurs, appelles-les comme tu le veux. Ramlin s’est enfuie en créant une illusion. Nous, les Conteurs, sommes liés à l’essence des choses, des êtres, du temps, et de la nature. Nous leur parlons et nous nous comprenons. La princesse a « simplement » demandé à la nature de la rendre invisible.

Comme pour étayer les dires de Noï, une vague de poussière d’étoiles, alors venue du ciel, entoura la jeune princesse qui passa à côté de la patrouille sans que celle-ci ne relève un quelconque élément anormal.

- Depuis ce temps, les légendes racontent qu’elle arpente les routes en compagnie de Phénor et répand la joie.
- Comme vous ? demanda la jeune femme alors que Noï refermait son livre, dissipant ainsi décor et fumée.
- J’essaie, fit la Conteuse, modeste en souriant.

Sur ces mots, elle posa le livre à côté de son manteau. Puis, la Conteuse étouffa un bâillement et se leva, suivie par Maowelle, encore bouleversée par les paroles de Noï.

Bouleversée.
Troublée.
Mais aussi… heureuse.

Excitée ?

La jeune femme peinait à décrire ce qu’elle ressentait. Elle accompagna Noï à l’étage supérieur et la mena à une chambre de taille moyenne, plongée dans l’obscurité. Maowelle pénétra la première dans la pièce et alluma une chandelle présente sur la table de nuit taillée en forme d’Yggdrasil. Aussitôt, la faible lueur de la bougie déchira partiellement les ténèbres.

- Vous n’avez besoin de rien ? demanda la jeune femme.
- Non, ça ira, merci, répondit la Conteuse d’une voix lasse.

Cette dernière, épuisée, venait de s’asseoir sur un lit de taille modeste et d’ôter son pull. La maîtresse des lieux alluma la cheminée et laissa une douce chaleur se répandre dans la pièce.

Un éclat de rire...

- Arrête ! Tu me chatouilles ! cria une voix de petite fille qui riait aux éclats.

Sans s'en rendre compte, Maowelle venait de se figer. La jeune femme se ressaisit, alluma la cheminée et regarda Noï qui semblait attendre une réponse.

- Bonne nuit alors, fit la jeune femme en quittant la pièce d’un pas plus léger qu’à l’ordinaire. Et… merci.

La Conteuse sourit et s’allongea tandis que Maowelle fermait la porte et se dirigeait vers sa propre chambre.

**

Chapitre 2


Comme tous les matins, Tilde parcourait la forêt d’Elbe en quête d’ingrédients pour ses décoctions médicinales. La jeune femme aux yeux de la couleur du tronc des arbres, à la chevelure courte, coiffée en pétard, aimait sentir la brise hivernale fouetter son visage. Tilde sourit et huma les nombreuses odeurs mêlées apportées par le vent glacial. Elle inspira profondément, puis, alors qu’elle reprenait sa route dans un silence seulement rompu par le murmure du vent à l’oreille de la forêt, un gémissement étouffé déchira l’air. Intriguée, la jeune femme fourra les plantes dans sa sacoche noire, portée en bandoulière puis se dirigea vers la source de ce bruit plutôt inhabituel, faisant craquer le sol gelé sous ses pas. A cette période de l’année, où tous les animaux hibernaient ou migraient, une présence était assez peu vraisemblable.

Surtout par ce froid et sur ce sentier peu connu !

Les gémissements apportés par la brise se faisaient plus audibles. Puis, Tilde baissa le regard et vit des taches rougeâtres maculer le sol gelé. La jeune femme s’accroupit et l’effleura du doigt avant de le porter devant ses yeux.

Du sang.

Tilde, intriguée et inquiète, se releva hâtivement et courut en direction du gémissement devenu halètement et vit une femme, assez jeune, pas plus de trente ans, adossée contre un gros épicéa violet.

La jeune femme, inquiète, s’approcha :

- Vous êtes blessée ?
- Non, ça va aller, fit la femme en tentant de se redresser.

En vain.

Elle s’effondra contre l’arbre, épuisée. Tilde inspira et regarda autour d’elle. La femme avait déjà perdu beaucoup de sang. Sa chemise verte, déchirée, en était maculée et son manteau noir, en lambeaux, ne lui permettait plus de se réchauffer.

- Soyez raisonnable, dit Tilde en s’approchant doucement, vous avez déjà perdu trop de sang !
- Je vais aller à la clinique et… commença la femme.

Tilde rattrapa la femme sur le point de s’évanouir et l’allongea sur le sol gelé.

- Vous serez morte avant même d’y arriver, dit Tilde.
- Mes amis… commença-t-elle d’une voix rendue fiévreuse.
- Il n'y a personne d'autre que vous et moi.

Tilde posa sa besace au sol et s’agenouilla à côté de sa patiente, dont elle pouvait ressentir l’angoisse. Peau mate, rendue cireuse par la sueur, parsemée de grains de beauté, notamment sur le visage, Tilde vit que la femme la regardait. La jeune femme lui rendit un sourire destiné à l’apaiser avant de saisir sa sacoche posée à côté d’elle.

- Qu’est-ce que vous allez me faire ? demanda-t-elle, haletante.

Tilde humidifia un morceau de tissu avant de s’approcher de son visage :

- Chut, murmura cette dernière d’une voix douce, ça va aller. On va donner un petit coup de main à Dame Nature pour vous guérir.

La jeune femme tamponna le visage ovale de sa patiente avec une infinie douceur et essuya quelques gouttes tombées sur ses yeux verts. Puis, sans qu’elle ne sache pourquoi, Tilde déposa un baiser sur le front de la mystérieuse femme.

- Je ne suis pas certaine que vous fassiez ça à tous vos patients, fit cette dernière, en esquissant un petit sourire.
- Considérez-vous comme privilégiée alors, répliqua Tilde, tandis qu’elle ôtait fioles et pierres de sa sacoche, sous le regard intriguée de l’inconnue.

Un bref silence s’installa, rompu par cette dernière :

- Vous êtes une sorcière ? demanda-t-elle, curieuse.

Tilde esquissa un bref sourire.

- Votre sourire me dit que j’ai raison, insista-t-elle.
- Il dit surtout que vous êtes sur la bonne voie mais pas que vous avez raison, rétorqua la jeune femme sans se départir de son sourire.

Cette dernière ôta sa cape blanche avant de la plier et de la placer délicatement sous la tête de la femme. Malgré son inquiétude apparente, Tilde s’obligea à garder une respiration calme afin de ne pas générer d’angoisse supplémentaire chez cette femme qui l’intriguait de plus en plus.

- J’aime bien les sorciers et magiciens, dit soudainement la jeune femme au teint mat, rompant une fois encore le silence naissant.
- Contrairement à beaucoup d’autres, fit Tilde en extirpant de sa poche une paire de ciseaux gris affûtés.

Devant les yeux écarquillés de la jeune femme, elle s’empressa d’expliquer d’une voix douce:

- Je vais devoir découper votre chemise afin de constater l’étendue des dégâts.

La jeune sorcière découpa délicatement le vêtement avant de poser les lambeaux à côté d’elle. Une plaie béante parcourait de haut en bas le torse finement musclé de la femme, sans doute une chasseresse, tandis que des cicatrices barraient son corps à plusieurs endroits. Tilde approcha davantage son visage afin les observer, et devant le manque de visibilité, laissa une boule de lumière jaillir de sa main droite avant de la faire léviter au-dessus de la plaie. La sorcière, fascinée, laissa son doigt courir sur les nombreux tatouages présents sur le corps de la jeune femme, jusqu’à ce que cette dernière grimace de douleur.

Tilde secoua la tête, ferma les yeux et effleura doucement la blessure, laissant sa main tracer des lignes de force qu’elle seule pouvait percevoir. Puis, elle ouvrit les yeux et poussa un sifflement :

- Ça me surprend que vous soyez encore en vie.
- Au stade où nous en sommes, on pourrait se tutoyer, non ? Je m’appelle Kaisa, fit la femme d’une voix faible. C’est grave ?
- Je m’appelle Tilde. Et pour répondre à la deuxième question, tu n’aurais jamais tenu jusqu’à la clinique, répondit la sorcière.

Tilde étala une couverture sur Kaisa avant de placer une brassée de feuilles mortes à l’intérieur d’un cercle de pierres précieuses dorées. Puis, d’un geste de la main, la sorcière balaya le dessus du cercle et un feu naquit, sous le regard impressionné de la chasseresse qui se sentait sombrer.

Sombrer.
Sombrer.
Puis, le noir…


*
* *


Kaisa… reste avec moi.

Je suis légère, comme une plume mais, je me sens si lourde…

Je ne vois rien et je vois tout.

Je suis étoile et soleil.

Je suis tout et je ne suis rien face à la majesté des étoiles et du ciel

Des millions d’étoiles.

Fascinée, j’observe certaines d’entre elles, aussi vieilles que le monde…

Puis, du blanc….


*
* *


- Tilde, fit Kaisa d’une voix éraillée.
- Oui ? s’enquit la sorcière en s’approchant, visiblement soulagée de la voir éveillée.
- J’ai vu les étoiles…

Tilde esquissa un sourire. La chasseresse délirait à cause de la fièvre. Inspirant profondément, la sorcière fit chauffer un mélange d’orties, d’absinthe et de roses puis, une fois le mélange arrivé à ébullition, elle en versa quelques gouttes sur la plaie de ma patiente qui hurla sous l’effet de la douleur.

- Shhhh, c’est tout, murmura la sorcière, en tamponnant son front brûlant.

La chasseresse ferma les yeux et se laissa emporter par une agréable sensation de douceur et de légèreté...

*
* *


Kaisa, reste avec moi…. Allez, ouvre les yeux…

Encore les étoiles, ces déesses de la nature, de l’univers. Si puissantes, et si merveilleuses.

Je me sens si fatiguée…

Mon corps, faible, ne répond plus à mes sollicitations, telle une poupée désarticulée.

S’abandonner…


*
* *


- Putain de merde ! grogna Tilde en voyant Kaisa sombrer à nouveau dans l’inconscience.

La sorcière se hâta de disposer ses pierres aux quatre points cardinaux autour de la blessure : Saphir au nord, rubis au sud, émeraude à l’est et jade à l’ouest. Le saphir, de par ses origines nordiques, aiderait la fièvre à diminuer. Le rubis, lui, détenait des puissantes vertus immunitaires, tandis que l’émeraude et le jade couplés possédaient de redoutables facultés régénératrices.

- Allez, Kaisa, ne lâche rien ! gémit Tilde, en effectuant un massage cardiaque.

La sorcière s’éloigna après dix massages et mit sa main au-dessus de la poitrine de la jeune femme. Tilde, grâce à sa maîtrise des éléments et son lien privilégié avec l’Univers, laissa sa respiration ralentir jusqu’à parvenir en Etat Alpha, point de concentration ultime. Puis, un trait bleu, issu des vents et des orages les plus violents, jaillit. Puis, quelques secondes plus tard, des nuages vinrent noircir le ciel bleu et une lumière bleue déchira ce dernier. La chasseresse, toujours inconsciente, se cambra et s’éleva brièvement, avant de retomber lourdement au sol. Tilde, inquiète, s’approcha rapidement et mit sa main sur la poitrine de la chasseresse. La sorcière, soupira, soulagée d’entendre à nouveau le cœur de sa patiente lutter pour la vie.

*
* *


S’abandonner…

Non, me hurle une voix que je reconnais comme étant la mienne, porteuse d’une volonté inaltérable.

Mon corps se réchauffe. Je lutte.
J’entends Tilde s’affairer autour de moi…

Je suis fatiguée…


*
* *


La sorcière s’assit en tailleur à côté de l’abdomen blessé de la chasseresse, dont l’esprit demeurait dans un monde inaccessible, à l’abri de toutes sollicitations extérieures. Tilde laissa sa respiration s’adapter au rythme de la nature puis mit ses mains au-dessus de la blessure…

*
* *


Je suis ici et là, sans réellement l’être.
Je sens mon cœur battre mais est-ce que je suis encore de ce monde ? Ou suis-je devenue particule de l’univers ?

*
* *


Tilde, en transe, se leva, laissa ses mains effectuer de gracieux mouvements en spirale au-dessus de la blessure de Kaisa puis, une fumée dorée jaillit des doigts de la sorcière qui avait calqué sa respiration au rythme de ses mouvements. Soudain, une à une, sous l’effet de ses incantations aux sonorités sifflantes, les pierres s’illuminèrent. Comme à chaque fois qu’elle entamait un rituel de guérison, Tilde pouvait entendre le chant de l’Univers et le comprendre. Puis, les murmures des ancêtres qu’elle vénérait et respectait, se joignirent à cette superbe mélodie.

Tilde continua de fredonner dans un langage aussi vieux que le monde, voire plus, jusqu’à ce que le sang reflue doucement pour reprendre son chemin originel et répandre à nouveau la vie dans le corps de la chasseresse.

La Langue des Elfes, des Pères de la Vie.

Les premiers êtres à avoir peuplé la terre selon les manuscrits quenyan, la langue elfique, qu’elle avait lus. Nul ne savait réellement pourquoi ils avaient disparu, mais tous s’accordaient sur un point : L’Homme n’y était pas étranger.

Etourdie, Tilde sentait son rythme cardiaque s’accélérer mais s’efforça de poursuivre le rituel, malgré ses forces qui s’amenuisaient.

La sorcière tendit ses mains à l’horizontale, paumes face au corps de Kaisa, et la fumée devint boule de vie dorée qui se faufila, doucement, dans le corps froid inanimé de Kaisa, épuisée. Puis, sous l’effet du sortilège, le cœur de la chasseresse reprit un rythme normal et son corps se réchauffa. Alors, Kaisa reprit enfin contact avec la réalité.

Tilde, satisfaite mais fatiguée, détacha une couverture épaisse pendue à sa sacoche et la posa sur Kaisa qui dormait profondément. Puis, la sorcière vérifia son pouls avant de s’allonger et s’enrouler dans sa cape de secours. La jeune femme venait de sombrer dans les méandres d’un sommeil paisible quand un sixième sens, aussi affûté que celui d’un loup, la réveilla. Tilde se releva, vérifia que Kaisa dormait toujours, et jeta un regard vigilant autour d’elle.

Le silence de la forêt endormie.
La sorcière se concentra.
Non, le silence n’était pas aussi parfait qu’il devait l’être.
Des pas.
Tilde regarda en direction du bruit puis, soudain, un trait d’arbalète effleura sa joue. La sorcière dressa hâtivement une protection magique autour de Kaisa et d’elle…

**

CHAPITRE 3



Sans qu’elle ne sache pas pourquoi, Noï l’intriguait. Troublée, Maowelle, dont le cœur battait à vive allure, venait de refermer la porte de sa chambre, voisine à celle de la Conteuse. La jeune femme s’allongea sur son lit, sans prendre la peine de se dévêtir, recouvert d’une couette aux dégradés nuit et essayait de mettre de l’ordre dans ses pensées.

Maowelle sourit en éteignant la bougie présente sur la table de chevet, aux côtés d’oiseaux de papier et d’un cadre contenant une photographie en noir et blanc où la jeune femme se tenait avec un homme en kimono, plus âgé qu’elle. Tous deux arboraient un large sourire. Derrière eux, se tenaient des imposantes chaînes de montagnes ainsi qu’un écrin de verdure.

Le sourire de Maowelle s’élargit davantage. Il n’y avait rien à chercher puisque toute la personnalité de la Conteuse respirait le mystère. Puis soudain, l’euphorie laissa place au doute :

Et si tout cela n’était que chimère ?
La Conteuse semblait tellement…
Tellement irréelle !

Un peu comme une étoile dans le ciel.
Inaccessible.
Ou un soleil dans la vie de Maowelle.
Un bonheur infini auquel elle n’osait plus croire.

Puis, alors qu’elle sombrait lentement dans le sommeil, une douce lumière blanche transperça l’obscurité jusqu’à se faufiler partiellement dans la chambre de la jeune femme. Intriguée, Maowelle décida de céder à sa curiosité. Elle se leva et posa ses pieds nus sur le tapis étalé au sol. Puis, la jeune femme se faufila à pas de loup hors de sa chambre. Une fois dans le couloir plongé dans une obscurité partielle, seulement rompue par des rayons lunaires transperçant les immenses baies vitrées d’un rayon blanc, Maowelle regarda autour d’elle.

Rien, excepté les ténèbres nocturnes. Les bougies étaient éteintes depuis plusieurs heures déjà.

Tout était comme à l’accoutumée. La commode de sa mère, taillée dans le bois de chêne par un artisan de renom, demeurait à sa place, face aux baies vitrées, où trônait un vase aux reflets bleuâtres qu’elle avait ramené d’un voyage à l’étranger orné de roses blanches. Ses fleurs préférées. Oui, tout y était, y compris la boite à musique en forme de manège, encore un cadeau d’Elinor, seul souvenir que Maowelle avait conservé de sa petite enfance.

Maowelle l’effleura avec tendresse et l’ouvrit. La boite à musique ne fonctionnait plus depuis bien longtemps. Cependant, Maowelle tira un collier en perles confectionné pour sa mère à l’occasion de son anniversaire et une bague en or où était montée une pierre de Lune aux reflets irréels. La jeune femme sourit et reposa délicatement les bijoux avant de reprendre sa recherche.

Maowelle passa devant un tableau représentant un paysage, à l’ambiance onirique avec des cerisiers en fleur illuminé par un coucher de soleil, sans le regarder et arriva au bout du couloir.

Les ténèbres se faisaient de plus en plus denses car aucune bougie n’éclairait cette partie de la bâtisse.

Rien.
Noir.
Aucune lumière.

La jeune femme frotta ses yeux brouillés par la fatigue. Elle avait rêvé.

Puis, soudain, alors qu’elle s’apprêtait à rebrousser chemin afin d’aller se coucher, une intuition se fraya un chemin dans son esprit et mena Maowelle jusqu’au seuil de la chambre où dormait Noï. Tiraillée entre la curiosité de vérifier ces éléments et le respect qu’elle devait à sa visiteuse, si visiteuse il y avait, Maowelle se demanda si elle devait ouvrir la porte. La jeune femme inspira profondément et appuya sur la poignée, appréhendant ce qu’elle allait trouver derrière la porte.

La jeune femme espérait de tout son cœur que la Conteuse soit dans son lit, en train de dormir paisiblement. Maowelle poussa la porte qui grinça légèrement, puis regarda autour d’elle.

Le silence et le froid régnaient en maître dans la pièce.

Aucun bruit sauf le vent nocturne.
Le lit vide et pas défait.

Non !

Le souvenir de cette soirée résonnait bien trop fort dans son esprit pour qu’il ne s’agisse que d’un rêve !

Amère, la jeune femme quitta la chambre le cœur lourd. Puis, elle ouvrit la porte de la sienne et s’effondra, sans prendre la peine de démonter son lit. Maowelle soupira et ne put s’empêcher de se demander pourquoi Noï était partie.

Pourquoi est-ce qu’un simple rêve fait aussi mal ?
Pourquoi la vie la condamnait-elle à la solitude éternelle ?

Puis, des perles salées, porteuses d’un chagrin aussi lourd que douloureux, roulèrent sur les joues de la jeune femme, épuisée. Pendant quelques secondes, Maowelle fixa la bougie blanche, déjà usée, présente sur le chandelier accroché au mur en espérant que son chemin retrouve la lumière.

Maowelle soupira et essuya ses larmes, décidée à ne plus se lier avec quiconque.
Tu deviens complètement folle ma pauvre fille, songea-t-elle en se levant, résignée à retrouver son quotidien maussade et ne plus se soucier des événements passés.

Sur ces pensées moroses, Maowelle se déshabilla, enfila une chemise de nuit propre et s’allongea dans son lit avant de fermer les yeux.


*
* *


Plus tard.
Bien plus tard.

Le vent glacial provenant de la fenêtre, ouverte, réveilla Maowelle en sursaut. La température dans la pièce avait chuté de plusieurs degrés tandis que l’âtre de la cheminée était éteint depuis longtemps. La jeune femme se leva, frissonnant au contact du sol froid, et referma la fenêtre. Puis, elle descendit les escaliers et se dirigea vers la réserve de bois située devant la maison. Là, elle prit des bûches avant de refaire le chemin inverse.

Puis, soudain, alors que Maowelle venait d’ouvrir la porte de sa chambre, elle s’arrêta devant la chambre des invités, amère et déçue.

Mais pourquoi s’obstinait-elle à fixer la porte, comme si quelque chose allait arriver ? Ou comme si la Conteuse allait l’ouvrir d’une seconde à l’autre ?

Maowelle secoua la tête et s’apprêtait à retourner dormir lorsque soudain, un souvenir, aussi chaud qu’un après-midi d’été se fraya un chemin parmi le doute:

Et aimerais-tu entendre une histoire, Maowelle ?

Elle n’avait pas rêvé.

Ramlin vit dans un monde nommé Aloph. Dans l’univers, il n’est que poussière tout comme Avan et Bethel, pour imposants soient-ils, ne sont qu’étoiles.

Maowelle avança d’un pas qu’elle voulait déterminé jusque la porte et l’ouvrit d’un coup sec.

Le contact avec la main chaude de la Conteuse. Son cœur battant de manière régulière et rassurante…

Toujours ce vide et ce froid. Le cœur de Maowelle se décomposa.

La jeune femme tressaillit de froid mais aussi d’amertume.

Personne.

Paniquée, Maowelle regarda autour d’elle.

Non ! Ce n’était pas possible ! Pas logique ! Noï ne serait jamais partie en pleine nuit, surtout pas ce froid !

Maowelle regarda par la fenêtre. La neige ne cessait pratiquement pas de tomber et un manteau épais blanc recouvrait le sol et les arbres, dépourvus de leur feuillage.

La jeune femme se dirigea vers la seconde chambre d’amis. Peut-être que la chambre ne convenait pas à Noï qui, trop fine pour le lui signaler, avait changé de chambre ?

La porte grinça lorsque la jeune hôtesse l’ouvrit à la volée.

Personne. Toujours et encore ce froid, ces ténèbres.

La jeune femme, de plus en plus paniquée, redescendit les escaliers et fouilla toutes les pièces du rez-de-chaussée. Noï devait forcément y être.

Peut-être que la Conteuse avait simplement envie d’un verre d’eau ?

Personne.

Seule, toujours seule. Une perle salée naquit sur le coin de son œil, qu’elle essuya à la hâte.

Elle avait rêvé. Le cœur lourd, Maowelle s’écroula sur une chaise présente non loin et se prit la tête entre ses mains.

Mais…
Non…
Pas possible, le souvenir de l’histoire contée par Noï demeurait encore trop présent !

Puis, la jeune femme gravit à nouveau les escaliers menant à l’étage supérieur et, alors qu’elle allait refermer la fenêtre de la chambre d’amis, amère, une boule de lumière blanche s’immisça dans la pièce et l’éclaira d’une douce lueur. Comme elle l’aurait fait avec un animal farouche, la jeune femme s’approcha doucement de la mystérieuse lumière.

- Waouh, murmura-t-elle, convaincue qu’elle n’avait pas rêvé.

Comme hypnotisée par la pureté neigeuse de la sphère, la jeune femme s’apaisa. Elle approcha ses doigts jusqu’à l’effleurer. Elle s’apprêtait alors à la saisir lorsque…

- Noï ?

Continue à y croire, Maowelle, la magie et l’amour existent encore.

- Non, murmura la jeune femme en portant une main glacée à ses lèvres tremblantes.

Je serai toujours avec toi, Maowelle, dans ton cœur. Aime les gens, aime la vie.

- Non ! s’exclama la jeune femme sans se rendre compte qu’elle venait de hurler.

La voix s’éteignit, remplacée par un silence presque absolu. Prostrée sur un sol aussi froid que son cœur, Maowelle pleurait. Comment faire pour aimer la vie, aimer les gens, lorsqu’on n’avait plus personne ? Lorsque l’on est haïe pour une raison totalement inconnue ?

Brisée.
Ravagée.

La jeune femme n’avait plus la force de se rebeller face à la vie qui l’avait condamnée à une solitude éternelle.

Maowelle pleura pendant longtemps. Si longtemps, que ses tempes la faisait souffrir.

Où était la Conteuse ? Pourquoi était-elle partie ?

Est-ce qu’un seul mot pouvait porter autant de chagrin et de douleur ?

Elle avait froid, très froid, cette froideur intérieure pouvait causer les pires dégâts.

Pourquoi ?

Mais surtout, comment faire pour réapprendre à vivre lorsqu’on n’a plus personne ?

Soudain, l’étrange lumière grossit jusqu’à illuminer la pièce entière et tira Maowelle de ses pensées. La jeune femme, paniquée, recula jusqu’à heurter le rebord de fenêtre.

L’amour et la magie sont les meilleurs remèdes contre des Hommes bien décidés à s’entretuer…

La magie…

N’importe quoi ! Depuis quand la magie aidait à résoudre les problèmes ?

Non.

La magie n’existait pas.

La lueur perdit de l’éclat. Comme si le fait de lui interdire d’exister la renvoyait au rang de conte de fées.

Mais… si la magie n’existait pas, que signifiait donc cette lueur ?

La jeune femme sentit une déchirure briser sa forteresse qu’elle s’était bâtie, en même temps que ses certitudes se fissuraient.

La…

Maowelle s’approcha encore et pouvait presque effleurer la lumière du bout des doigts.

Magie…

La jeune femme laissa la lumière lui caresser la peau et savoura la chaleur qu’elle lui prodiguait. Une étrange sensation de bien-être qu’elle n’avait pas connu depuis bien longtemps, envahit Maowelle qui, pour la première fois, s’abandonna.

Impossible…

Pourtant, sous son regard brillant et effrayé, la lueur disparut sous la couette bleu nuit. Intriguée, Maowelle s’assit sur son lit et chercha la lueur comme l’aurait fait un enfant.

Puis soudain, alors que la chambre de la jeune femme venait d’être prise d’assaut par les ténèbres, la couette s’éleva. Maowelle, stupéfaite, vacilla et retomba lourdement sur le matelas.

Sous ses yeux écarquillés, la lueur réapparut et faisait léviter la couette. Désormais, la pièce entière brillait sous l’effet de son étrange éclat.

Impossible, songea Maowelle, davantage pour se rassurer que par réelle conviction.
Alors, comment expliquer que sa couette lévitait en ce moment-même et venait de prendre une forme similaire à celles des oiseaux en papier ornant sa table de chevet ?

**

CHAPITRE 4


- Qui est là ? cria Tilde en scrutant son environnement.

Deux personnes, un homme et une femme, apparurent. Vêtus de la même manière que Kaisa, tout clamait que la chasseresse les connaissait. L’atmosphère, paisible une seconde plus tôt, se tendit au fil des pas des individus que Tilde devinait comme étant des chasseurs.

Ces derniers la tenaient en joue avec de puissantes arbalètes. La femme, de grande taille, braqua ses yeux bleus acier sur Tilde et tira un carreau. Ce dernier rebondit sur le bouclier dressé par la sorcière, et laissa derrière lui un impact bleu qui disparut presque aussitôt. Le carreau tomba sur le sol humide, non loin des chasseurs. Décontenancée, la chasseresse jeta un regard entendu à son compagnon qui hocha la tête. De petite taille, le teint noir, il braqua ses yeux terre et mer sur Tilde qui tressaillit. Si la chasseresse blonde était dangereuse, la sorcière était certaine d’une chose : Le chasseur l’était à mille lieues davantage. Il émanait de lui une aura écrasante de puissance qui ne provenait pas seulement de sa facilité à manier les armes.

S’il y avait un danger, il proviendrait de lui. Le chasseur venait, en effet, de troquer son arbalète contre une dague d’une trentaine de centimètres.

N’importe qui aurait ri face à cela.

N’importe qui.

Cependant, il y avait tant d’assurance dans ce geste que la sorcière n’avait pas envie de rire.

Tilde se concentra à l’extrême, prête à réagir.

Le chasseur s’avança d’une démarche féline et déterminée vers le bouclier et l’effleura du bout de sa lame d’acier. Le bouclier, devint opaque sous l’effet du contact avec l’arme du chasseur. Soudain, sous le regard stupéfait de la sorcière, les tatouages, dessinés à l’encre noire, ornant son crâne dépourvu de cheveux, se teintèrent d’une lueur dorée. Instinctivement, Tilde renforça son bouclier grâce à la magie runique. De bleu, le bouclier devint rouge. Stupéfait, le chasseur recula d’un pas et scruta attentivement la jeune femme qui lui faisait face. Il savait qu’il ne devait pas sous-estimer son adversaire et qu’il n’obtiendrait rien d’elle avec la magie. Le chasseur pouvait sentir la puissance de Tilde, la même qui l’avait intrigué lorsqu’ils avaient commencé à pourchasser Kaisa au travers de cette forêt. Visiblement, ces deux femmes ne se connaissaient pas. Cela pouvait devenir un avantage.

Alors, son regard se dirigea vers Kaisa, toujours inconsciente. Puis, il regarda à nouveau la sorcière à nouveau et esquissa un sourire pervers :

- Sais-tu que Kaisa est une chasseresse, sorcière ?
- Et ? demanda Tilde en haussant un sourcil interrogateur.
- Elle fait partie de la Guilde des Chasseurs de Mages, répondit la femme en s’approchant du bouclier et en l’effleurant à son tour avec ses doigts pointus.

La sorcière, furieuse regarda sa patiente, qui commençait à convulser.

Toi, tu as de la chance que je n’aime pas juger les gens, songea-t-elle en serrant les poings.

Cependant, quelque chose n’allait pas dans les déclarations du chasseur :

- Mais… si elle est des vôtres, pourquoi la traquez-vous alors ? demanda Tilde, intriguée, en croisant les bras.
- Parce qu’elle nous a trahi, répondit simplement la femme.
- Maintenant, livre-la nous ! ordonna l’homme que la colère rendait effrayant.

Kaisa haletait à présent et semblait éprouver de sérieuses difficultés à respirer. La sorcière avait d’abord envisagé de la laisser se débrouiller seule, mais sa bienveillance naturelle reprit le dessus sur sa haine envers les chasseurs de Mages. Elle accourut et s’agenouilla aux côtés de sa patiente. Là, elle lui plaça une feuille de hêtre bleu sur les narines afin de dégager ses voies respiratoires obstruées. Une fois la respiration de la chasseresse redevenue normale, Tilde se dirigea vers les chasseurs :

- Co… comment a-t-elle trahi ? demanda la sorcière, intriguée et inquiète pour sa propre vie. Et que s’est-il passé ?
- On a retrouvé des grimoires dans son bureau, répondit la femme. Ça fait deux jours que nous la traquons afin qu’elle soit jugée.
- Et exécutée, compléta le chasseur.

Tiens, tiens, serais-tu une mage, Kaisa ? songea la sorcière, de plus en plus intriguée par sa patiente et par l’ironie de la situation dans laquelle elle se trouvait.

Finalement, elle allait peut-être aider la chasseresse après tout.

- Tilde, appela Kaisa d’une voix éraillée.

La sorcière accourut et s’agenouilla aux côtés de sa patiente :

- Oui ?
- Je suis… désolée de… te causer… des… ennuis, dit la jeune femme d’une voix rauque.
- Ce n’est pas le plus important, fit la sorcière d’une voix apaisante. Par contre, j’ai besoin de savoir ce qui s’est passé, et surtout, si je peux te faire confiance.

La cime des arbres de Tilde entre en communion avec la forêt de Kaisa.
Les frontières s’effondrent.
De nouveaux chemins se dessinent.
Tout devient possible.


*
* *


Vert et marron.
Leur élément était la terre.
Une forêt.

Tilde plongea dans l’âme de Kaisa et se laissa bercer par le chant de cette Mère qu’elle vénérait et respectait par-dessus tout. Une douce lueur entoura les deux jeunes femmes sans qu’elles ne s’en rendent compte. Les chasseurs, surpris par ce qu’ils considéraient comme de la magie noire, reculèrent et dégainèrent leurs arbalètes.

Puis, mélange de langues anciennes et d’amour pour la nature, une voix s’éleva et chanta une mélodie aux sonorités chaudes.

Puis, une alchimie se créa entre les deux femmes.

Leurs âmes se cherchèrent, se trouvèrent. Puis se lièrent.

De cette fusion coulèrent des nouveaux savoirs.


*
* *


- Sorcière ! tonna l’homme, rompant ainsi le charme. Notre patience a assez duré ! Amène-nous Kaisa ! C’est un ordre !
- Je ne reçois d’ordres de personne, répliqua Tilde d’une voix sans âme. Et encore moins, d’un chasseur de mages.

Puis, sans leur laisser le temps de réagir, la sorcière esquissa un sourire narquois, et s’éleva d’une trentaine de centimètres avant de balayer le panorama d’un geste horizontal. Là, une bourrasque de vents, dont la puissance n’avait d’égale que la haine de la sorcière envers les chasseurs de mages, naquit, ce qui eut pour effet de faire tomber lourdement les chasseurs sur le dos. Tilde mit ces quelques secondes à profit pour revenir à terre, lever son bouclier, envelopper Kaisa dans sa couverture et la prendre dans ses bras. Là, elle prononça rapidement une incantation aux sonorités sifflantes, puis, les deux jeunes femmes disparurent dans une épaisse écharpe de feu.

- Traîtresse ! hurla la chasseresse en dégainant une dague qu’elle projeta vers Kaisa.

Un éclair bleu déchira le ciel durant quelques secondes et entoura les deux femmes. La dague de la chasseresse ricocha et se dirigea vers sa propriétaire. Cette dernière l’évita en se plaquant sur le sol forestier humide. La lame d’acier, elle, acheva sa course dans le tronc du chêne présent derrière sa propriétaire.

Furieuse, elle regarda l’endroit où se trouvaient Kaisa et la sorcière.

- On se retrouvera, n’ayez crainte, murmura-t-elle en se relevant.

Puis, suivie par son compagnon, elle se détourna et quitta la forêt d’un pas déterminé.

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