Un si bel Avenir
- Par Mistou
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A l'initiative de Fanny, et sur sa demande, je vous propose d'écrire une nouvelle.
Je commence, à vous de continuer suivant votre inspiration
Un si bel Avenir
Son diplôme de lettres en poche, Laura se permet de s'octroyer quelques vacances. Après des années de galères et de petits boulots pour payer ses études, elle vient de trouver le petit appartement de ses rêves dans un immeuble de quatre étages avec ascenseur. Situé au bout d'une impasse, il comprend une grande pièce à vivre avec une belle baie vitrée s'ouvrant sur la campagne alors qu'elle n'est qu'à quelques centaines de mètres du centre ville. Une kitchenette, une toute petite chambre où elle peut juste mettre son lit, une armoire et une table de chevet mais elle a la chance d'avoir une salle de bains équipée d'une fenêtre.
Pour elle, qui est claustrophobe, c'était la condition.
Elle va donc employer ses vacances à s'installer et comme ses moyens financiers sont très restreints, " Le bon coin" lui parait la meilleure option.
Mais avant, elle a envie de prendre du temps, juste un peu de temps pour elle, pour se reposer. C'est dans ce calme qu'elle va pouvoir se projeter dans l'avenir. Réfléchir, voilà le mot juste, réfléchir à cette nouvelle vie qui s'ouvre devant elle. Elle a passé tellement de temps à espérer que ce moment arriverait enfin, qu'elle veut le savourer, et surtout ne pas se précipiter. C'est comme si elle voulait qu'une seconde devienne une heure, que l'aiguille de sa montre ralentisse sa course. Elle reste là, devant cette baie, à suivre le vol d'un oiseau, qui semble, lui aussi, ne pas vouloir voler trop vite. Elle s'amuse de cette coïncidence ! Seraient-ils deux à découvrir un nouveau monde ? Elle se souvient de ses moments d'incertitude, de fatigue, d'inquiétude... Elle veut les enfermer dans une boîte et tourner cette clef, celle d'avant....
Mais il lui faut revenir à la réalité... Un clic donc sur "le bon coin" et elle découvre justement quelques offres assez alléchantes. Tout d'abord ce lit en fer forgé et rétro de surcroît, d'une couleur blanche de même que la petite table de nuit assortie. Voilà un lot intéressant ! Il faut faire vite car ces offres sont assez rares. Laura se précipite donc sur le téléphone et compose le numéro indiqué par le vendeur. Une voix d'homme assez jeune lui répond et lui confirme que ce lot est disponible mais qu'il faut venir le prendre à son domicile, qui se trouve d'ailleurs assez loin de chez elle. Un léger obstacle vient de surgir, elle n'a pas de voiture ! Elle explique donc ce problème à son interlocuteur. Il lui propose alors de les lui livrer moyennant un supplément. Dix euros de plus, c'est un peu cher pour elle qui doit compter au plus juste vu son budget mais refuser cette offre serait risqué, car elle a vraiment besoin de ces meubles. Elle accepte donc la livraison pour le lendemain, un vendredi après midi. Elle sera chez elle et pourra recevoir cette personne ainsi que le mobilier qu'elle espère en excellent état ! (Les photos sont souvent trompeuses sur les annonces de vente).
Tout en imaginant la décoration de son intérieur, elle s'empare de son portable. Son frère décroche à la seconde sonnerie :
" Allo? Claude ! Comment vas-tu? J'ai besoin de toi p'tit frère. J'ai trouvé sur " Le bon coin " un lit et une table de chevet, le vendeur me livre demain après-midi mais il me faut des bras pour l'aider à décharger et les monter. Tu sais que je suis nulle en bricolage, je peux compter sur toi ? Si tu as un copain qui peut aussi me donner un coup de mains, il sera le bienvenu. Je prévois de la bière. Dis à maman que je rentrerais dîner mais qu'elle n'achète rien, j'apporterai ce qu'il faut. A demain, je t'embrasse et elle raccroche le sourire aux lèvres."
Pour limiter au maximum les dépenses, elle continue de vivre chez ses parents, car ses études sont très onéreuses et ils ne peuvent pas l'aider financièrement. En contrepartie, elle assume le ménage et la cuisine lorsque son emploi du temps le lui permet. Claude, c'est son grand frère et elle a toujours pu compter sur lui comme c'est encore le cas aujourd'hui.
Elle a compris depuis longtemps qu'une immense générosité habite son frère. Elle se revoit encore appuyer la tête sur son épaule quand le désespoir la rendait trop lourde. C'est dans ses bras qu'elle allait se réfugier quand le doute l'angoissait, quand elle hésitait entre deux chemins, quand elle pleurait aussi de fatigue, ou tout simplement quand elle voulait, à ses côtés, se battre contre la société toute entière, contre les injustices et les humiliations. C'est un artiste, un rêveur, mais aussi, tout comme elle, un forcené du travail. Il s'enivre de musique, du matin au soir, guettant les moindres souffles d'air dont il peut se servir pour écrire.
Après une bonne nuit et un solide petit déjeuner, une bonne douche lui fera le plus grand bien. Rien de tel pour bien commencer la journée. Son miroir lui renvoie l'image d'une jeune femme épanouie et souriante. Brune aux yeux bleus, ses amies ne tarissent pas d'éloges sur son physique mais elle se trouve tout à fait ordinaire si ce n'est ce sourire qui irradie son regard et y dépose des étincelles tel un feu d'artifice. Âgée de vingt cinq ans, elle jongle entre ses études de Lettres et des petits boulots pour ne pas être à la charge de ses parents. Elle aurait voulu être grande et mince, c'est raté mais pas le temps de s'appesantir, l'essentiel est qu'elle soit bien dans sa tête.
Issue d'un milieu modeste, elle a un frère de deux ans son aîné, Agent immobilier. Son père n'a pas reproduit ce dont il a tellement souffert et l'a laissé libre de ses choix, il a d'ailleurs acquis une certaine notoriété dans ce domaine, il est intègre et de bons conseils. Son père était artisan bâtiment, Il a épousé à quatorze ans, le métier de son père,à cette époque, on n'avait pas le choix et puis, c'était comme ça, on ne se posait pas de questions. Son rêve était de devenir accordéoniste, faire danser le samedi soir et le dimanche après-midi dans les fêtes de village mais pour ses parents, ce n'était pas un métier. C'est la raison pour laquelle, il a pris des cours de musique pour assouvir sa passion ,mais ce n'était qu'au prix de journées à rallonge. Sa mère secrétaire médicale a eu plus de chance que lui puisque ses parents ont acceptés qu'elle aille à l'école jusqu'au Brevet, ce qui lui a permis d'avoir cet emploi. Pas de quoi faire des folies mais ils sont arrivés à faire construire le pavillon de leurs rêves et leurs enfants sont leur plus grande fierté. Quant à son frère, il est brun comme elle mais il a hérité des yeux noisettes de sa mère, un regard franc, un sourire éclatant. A vingt sept ans, il est la coqueluche de toutes ses amies.
Vêtue d'un jean et d'un vieux pull, une paire de baskets aux pieds, la voilà parée pour emménager. Avant de partir, elle s'assure que sa mère n'a besoin de rien.
" A ce soir maman, si tu veux quoique ce soit, laisse moi un texto, je te rappellerai. Je me dépêche
Vêtue d'un jean et d'un vieux pull, une paire de baskets aux pieds, la voilà parée pour emménager. Avant de partir, elle s'assure que sa mère n'a besoin de rien.
" A ce soir maman, si tu veux quoique ce soit, laisse moi un texto, je te rappellerai. Je me dépêche sinon je vais rater mon bus. Bisous"
Son portable vibre dans sa poche, c'est sa meilleure amie qui vient aux nouvelles...
" Coucou ma Belle, tu as besoin d'un coup de main ? " ce à quoi elle répond par l'affirmative, "on se retrouve à l'appartement. A tout de suite."
Décidément, elle n'est pas quelqu'un de très patient ! Elle a hâte qu'on lui livre le lot (lit et commode en fer forgé). Quelle chance d'avoir trouvé ces articles pour un prix plus qu'abordable ! Elle pense qu'ils seront très bien dans cette chambre, un peu petite certes mais après tout elle n'a pas besoin d'un appartement plus grand. Elle a imaginé une peinture bleue très douce pour deux murs, justement celui ou seront placés le lit et la commode, les deux autres murs seront peints en blanc cassé. Ainsi elle pourra y appliquer deux jolis encadrements qu'elle avait déjà dans sa chambre chez ses parents, tous deux représentant des paysages reposants peints par son père qui a un très joli coup de pinceau. Elle imagine aussi des doubles rideaux en lin d'un bleu un peu plus soutenu que celui appliqué sur les murs et peut-être une glace. Il faudra aussi trouver cette dernière au bon coin, mais pas tout de suite car elle doit calculer à un euro près maintenant et surtout, ne pas jouer les paniers percés. Elle a une imagination débordante depuis qu'elle est seule ! Sur ce sujet aussi, elle devra faire attention car elle se connait, un coup de foudre pour un meuble, un objet, un vêtement, est vite arrivé avec elle.
Son amie Jacqueline pourra l'accompagner lors de leurs sorties et lui donner son avis, elle sait qu'elles ont à peu près les mêmes goûts et elle est de bon conseil. Elle a eu beaucoup de chance de l'avoir rencontrée, elle est drôle, a de l'esprit, aime lire et aller au théâtre et puis elle a un talent qui n'est pas donné à tout le monde, elle écrit des poèmes qui sont même édités. Bizarre l'écriture, on commence une phrase et l'on se prend à déballer notre vie ou presque. Elle se souvient qu'un jour, elle a pensé à écrire quelques pages sur sa jeunesse. Des souvenirs qu'elle croyait enfouis à jamais ont fait surface. A sa grande surprise elle s'est souvenue d'histoires qu'elle avait vécues à l'âge de trois ans. Incroyable ! Quand elle a raconté celles-ci à sa mère, cette dernière n'en croyait pas ses oreilles. Elle-même ne s'en souvenait plus.
Elle se dirige donc vers l'arrêt de bus le plus proche. L'air est frais, le soleil se cache derrière les nuages, mais l'hiver se termine, et on ressent les prémices du printemps. Le bus arrive à sa hauteur, et elle se précipite dedans comme si un courant d'air l'y poussait. Elle est très excitée à l'idée de se rendre dans son nouveau "chez soi". Elle se souvient de cette exaltation qui s'est emparée d'elle quand elle s'est rendue la première fois à la faculté, et là, à ce moment, les émotions semblent être les mêmes. La seule différence se trouve dans le fait qu'elle ne ressent aucune appréhension, aucune crainte. Toutes ces années d'études sont derrière elle, elle s'envole maintenant vers son avenir en toute sérénité. Debout dans ce bus, les images défilent et elle se prépare à descendre car l'arrêt est proche. Elle descend et court plus qu'elle ne marche et elle aperçoit Jacqueline qui l'attend à la porte de son immeuble. Elle vient au devant d'elle, et elles montent toutes les deux dans l'ascenseur en riant. En attendant la livraison, elles papotent joyeusement. Elles se connaissent depuis quelques années et elles ont la même vision des choses.
"Au fait" lui dit-elle, j'ai envie de refaire la déco de ma chambre, je sais que tu aimes bien ma glace, si tu la veux, elle est pour toi." " Merci, tu es super" répondit Laura.
Elle ne se fait pas prier parce qu'elle sait qu'elle lorgne depuis longtemps sur un petit liteau qu'elle va se faire un plaisir de lui offrir.
Claude vient d'arriver, flanqué de deux copains qu'elle connait bien. Ils attendent tous le vendeur avec impatience. En attendant chacun donne son avis quant à l'emplacement des meubles de façon à gagner un maximum d'espace.
Une chose à leur rappeler tout de même les meubles sont livrés non montés ! Mais elle ne m'inquiète pas, elle sait que Claude aura tout prévu. Elle se souvient trop des éléments de cuisine achetés par ses parents. Une fois livrés, déballés de leurs cartons respectifs et le livreur reparti, son père agenouillé au sol s'était mis à lire la notice de leur montage. Nous attendions son verdict qui tomba brutalement : "Je n'y comprends rien du tout !" Ce fut un éclat de rire général car nous savions trop bien que ce n'était pas son truc. Il n'était pas vraiment un manuel mais il excellait cependant pour placer des tableaux et des étagères. De même, pour faire des crêpes fourrées à l'orange, il n'avait pas son pareil mais là, il séchait et nous n'étions pas surpris du tout. Deux jours après, un ami contacté par ma mère montait les meubles sans problème.
Cette attente devenait un peu longue et les réflexions allaient bon train, un accident peut-être ? Le vendeur s'est trompé d'adresse ou pire il a changé d'avis ? Il ne manquerait plus que cela ! Allez, patientons encore, à cette heure la circulation est importante il ne saurait plus tarder.
Son portable sonne de nouveau :
"Bonjour Madame, je suis le vendeur, j'arrive au feu rouge, pouvez-vous me reprécisez votre adresse? Merci, A tout de suite "
Enfin ! Elle est impatiente de découvrir son acquisition. Tout le monde est à pied d'oeuvre. Elle n'est pas déçue, sa chambre correspond exactement à la description. On voit qu'elle a affaire à des professionnels, les meubles sont montés sans aucun problème.
" Merci les gars je suppose que vous avez soif ? Qui veut une bière ? "
L'ambiance est à la bonne humeur. Elle est comme une petite fille devant un sapin de noël, elle a enfin un chez soi et plein d'idées pour le rendre le plus cocooning possible. Le vendeur vient de partir, son frère et ses copains ont d'autres obligations, elle reste donc avec Jacqueline qui ne tarit pas d'éloges sur son petit nid.
C'est vrai que la chambre est bien belle, tout à fait comme elle l'imaginait, les meubles sont de bonne qualité et la façon dont ils sont placés lui convient parfaitement. Une bonne idée que sa mère lui ait donné cette descente de lit de mouton, elle réchauffe la pièce. Il lui reste à acheter l'armoire mais il faudra qu'elle en prenne bien les mesures et la glace que son amie va lui offrir complètera parfaitement cet ensemble. Elle est vraiment heureuse d'avoir enfin un chez-soi ! Elle sait qu'il y aura des moments difficiles comme le loyer à payer, les factures d'électricité etc... Le quotidien ne sera pas toujours rose mais il sera temps d'y penser ! Aujourd'hui elle est très heureuse et a envie d'en profiter.
Ce n'est pas le moment de mettre son énergie en berne, donc elle met ces éventuels problèmes au placard et elle décide d'en fermer la porte. L'heure est au renouveau, à l'avenir. Elle a déjà quelques adresses pour son travail, et elle peut compter aussi sur des recommandations qu'elle a obtenues lors de ses nombreux stages.
Jacqueline vient de partir et elle s'attarde encore quelques instants. Les derniers rayons de soleil jouent avec la poussière qui s'est accumulée sur le sol. Elle va devoir s'équiper en produits ménagers, balai, serpillière etc....
En rentrant chez ses parents, elle consulte ses comptes, très important les comptes et elle a le plaisir de constater que Pôle Emploi lui a versé les indemnités auxquelles elle a droit. Ce n'est pas le Pérou mais cela va lui permettre de peaufiner ses recherches d'emploi. Elle vient d'être contactée par un couple qui souhaite faire donner des cours de soutien en maths à leur fille qui doit passer son bac l'année prochaine, ça mettra du beurre dans les épinards comme dirait sa mère.
Pour occuper le reste de sa soirée, elle se lance dans l'inventaire de sa garde-robe, il est grand temps qu'elle en fasse le tri. Entre les fringues trop petites, celles dont elle a du mal à se séparer et celles totalement " ringardes ", il ne va pas lui rester grand-chose !
Jacqueline lui a parlé d'un petit magasin qui vend de l'occasion. Elle s'y est rendue en repérage et y a trouvé des vêtements de qualité et de marque, quasi neufs, vendus à des prix défiant toute concurrence. Elle y retournera avec elle car elle est de bon conseil.
Pas facile de trier des vêtements, elle a parfois du mal à se débarrasser de certains comme cette jupe fleurie pour laquelle elle avait eu un coup de cœur. Elle se souvient qu'elle déambulait dans Paris du côté du Marais, le plus vieux quartier de la capitale, témoin des vestiges du passé et de l'histoire de France. Du règne de Louis XIV à nos jours, le Vieux Paris est resté un quartier très dynamique et d'avant garde. Il est le plus prisé en terme de lieux de rencontres et de ruelles, beaucoup de celles-ci abritent des galeries de peintures, on ne compte pas les monuments situés dans le troisième et quatrième arrondissement dont certains sont classés monuments historiques. Si vous avez l'occasion de visiter la capitale, préférez ces arrondissements et perdez-vous dans les vieilles ruelles car vous y rencontrerez des gens qui vous en parleront comme s'ils y étaient depuis toujours ...
Donc, c'est dans ce fameux quartier du Marais au détour d'une ruelle très étroite, qu'elle aperçut une sorte d'échoppe un peu isolée et là, une jupe posée sur une chaise trônait dans une vitrine. A vrai dire, on ne voyait qu'elle tant le tissu un peu brillant et les fleurs champêtres imprimées ici et là sur l'étoffe faisaient qu'on était attiré par ce vêtement. Le prix n'était pas affiché et elle pensait qu'elle devait valoir assez cher, certainement hors de son budget. Le mieux était qu'elle rentre et qu'elle l'examine de plus près. Bizarre ! Personne pour l'accueillir mis à part un gros chat qui dormait dans un couffin et que sa visite n'importunait nullement.
C'est curieux, tous ces souvenirs qui lui reviennent. Il y a des années qu'elle n'est pas allée à Paris, ça lui manque mais les finances étant ce qu'elles sont, ce n'est pas envisageable, du moins pour le moment. Cela dit, cette petite jupe est la seule qu'elle va garder. Nostalgie, quand tu nous tiens !
Elle entend du bruit venant du corridor, et c'est avec empressement qu'elle descend les escaliers. Elle a une telle hâte de raconter sa journée à sa mère, qu'elle ne lui laisse pas le temps d'enlever sa veste. Sa mère la regarde, amusée, et, à cet instant, elle devine ce que sa mère ressent. Sa fille va partir de la maison ! Elle ne va pas s’absenter quelques jours ou quelques semaines comme à l'époque où elle se rendait à la faculté. Non, elle va partir de la maison ! C'est une phrase qui prend soudainement dans sa tête une autre dimension car elle part de chez ses parents définitivement. Certes, elle les verra souvent parce qu'elle reste dans la même ville, mais elle a un étrange sentiment d'abandon qui s'empare d'elle. Elle réalise ce que sa mère pense et elle la serre fortement dans ses bras pour la réconforter. Elle sait qu'elle retient ses larmes parce que ses yeux se sont soudain embués du voile de l'émotion. Elle se sent un peu fautive de ce chagrin qu'elle n'avait , jusqu'ici, pas envisagé aussi vif. Dans les bras l'une de l'autre, elle lui murmure des paroles de tendresse, et ce choc de la séparation étant passé, elles n'ont d'autre solution que de sécher leurs pleurs et d'en rire.
Son père vient de les rejoindre, il a toujours ce petit air bourru qui masque ses sentiments, il est très pudique mais elle, elle sait, qu'il n'y a pas de meilleur papa au monde. Son sourire le lui confirme. Il prend un air de conspirateur. Qu'elle aime le voir quand il prend cet air, il regarde maman, qui acquiesce. Elle est suspendue à ses lèvres, qu'a-t-il encore trouvé pour lui faire plaisir ? Il se jette à l'eau, sa voix tremble un peu.
"J'en ai discuté avec ta mère, c'est normal que tu veuilles prendre ton envol, nous savions que ce jour arriverait et te connaissant, et connaissant ton extrême patience, on a décidé de te donner un petit pécule pour que tu puisses te meubler le plus rapidement possible."
Il lui tend une enveloppe et elle découvre que Claude a aussi participé. Elle reste sans voix, les larmes coulent sur ses joues sans qu'elle fasse quoique ce soit pour les arrêter. Elle se blottit dans les bras de mes parents comme lorsqu'elle était une toute petite fille. L'émotion est à son comble, même son père a les yeux humides. Moment magique où le temps suspend son vol.
Son père est le premier à rompre le charme, il a toujours eu du mal à extérioriser ses sentiments et c'est sur un ton désinvolte qu'il lui demande ce qu'elle a prévu pour le dîner. Son épouse intervient en souriant :
" Laisse-la tranquille, tu sais très bien qu'elle n'a pas eu le temps. J'ai prévu une quiche lorraine et une salade, un yaourt et un fruit. Pour le soir, c'est suffisant "
Avant de passer à table, il lui reste une chose très importante à faire :
" Allo p'tit frère je ne sais pas comment te remercier. Tu es vraiment le frère dont toute fille rêverait, Jacqueline me le dit souvent. Je t'aime petit frère, je t'embrasse."
Tout en dînant, ses pensées s'envolent vers son frère. Son frère, il a deux ans de plus qu'elle mais aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle lui ai toujours dit " Petit frère". Ses parents lui ont raconté qu'à sa sortie du Service de Prématurés, il était allé chercher tous ses jouets et les avait mis sur son berceau. Il a été très déçu en la voyant. Dans son esprit de petit garçon, il croyait qu'il pourrait jouer tout de suite avec elle car s'il avait une petite sœur, c'était fait pour ça ! Ses parents l'ont fait asseoir et sa mère l'a confortablement mise sans ses bras. Alors, il s'est produit cette chose incroyable, il l'a regardé et a déposé un tout petit baiser sur sa joue, tout doucement, comme si elle était la personne la plus importante de sa vie. Il irradiait de bonheur et son amour pour elle ne s'est jamais démenti. Plus tard, alors qu'ils étaient à l'école et que leur mère lui demandait pourquoi il n'avait pas de bons points alors qu'elle en rapportait souvent. Il répondait, invariablement en souriant " ça fait rien, ma sœur en a un "
Tout ce qui l’intéresse, c'est la musique, il est super doué, joue de la guitare et compose dès qu'il a un moment de libre. Il a d'ailleurs transformé le sous-sol du pavillon en studio d'enregistrement et a monté un groupe qui se produit de temps en temps. Inutile de dire que qu'elle est sa plus grande fan, elle pourrait même dire une groupie tellement elle est accro à toute cette musique qu'elle ne se lasse pas d'écouter encore et encore. Son père la ramène à la réalité.
"Tu n'as rien mangé ma Puce, tu es fatiguée ? Ne t'inquiète pas, un petit trop plein d'émotions mais après une bonne nuit, il n'y paraîtra plus."
Elle aide sa mère à desservir, la vaisselle est vite faite et la cuisine retrouve son calme. Elle s'installe devant son ordinateur pour répondre à ses mails. Rien de bien intéressant hormis quelques amies qui prennent de ses nouvelles. Il y a fort longtemps qu'elle ne s'est pas pelotonnée sous son grand plaid avec un bon bouquin, ça lui manque, elle a donc décidé d'y remédier. C'est une boulimique de lectures en tous genres bien qu'elle privilégie les romans. Sans doute, son petit côté fleur bleue.
Son rêve est de faire partie d'un Comité de lectures. Elle a envoyé plusieurs lettres de motivation à de nombreuses Maisons d’Édition mais jusqu'à présent, elle n'a eu aucune réponse. Jacqueline lui a donné les coordonnées de son Éditeur, c'est une toute petite maison mais pour faire ses premières armes, ce serait parfait, à condition toutefois que son profil leur convienne. Pour ce soir, elle va laisser son esprit vagabonder au fil des pages de ce nouveau roman dont on lui a dit le plus grand bien tout en dégustant un bon chocolat noir. C'est son péché mignon.
Elle s'est souvent imaginée être dans une salle lumineuse entourée d'essais, de manuscrits venant de toute la France, et d'en feuilleter les pages, crayon en main, afin de noter ses premiers ressentis. Ensuite, elle rédige sur mon ordinateur le résumé de l'ouvrage, repère des phrases complexes demandant une autre formulation, et se remémore aussi les directives du cahier des charges de sa maison d'édition pour être certaine que cet écrit y corresponde. Cela demande de la concentration, de la patience aussi, et on ne peut faire ce travail que si on ressent l'amour des livres. Feuilleter un livre, découvrir une histoire, c'est comme entrer dans l'intimité de plusieurs personnages, d'être spectateur de vies qui se croisent, de destins prévisibles ou incroyables. Il faut se détacher de la réalité, se fondre dans ce décor de papier et même relire des extraits pour mieux comprendre ces sentiments qui se révèlent doucement à la lecture des mots, entre chaque ponctuation.
Elle se souvient d'en avoir parlé à Jacqueline qui lui a fait part de sa vision du métier.
"Pas mal du tout, cette idée de Comité de lectures. Laura, je t'y vois très bien, mais attention les places sont chères ! Il m'est arrivé de m'y inscrire pendant deux mois, j'ai trouvé cela très intéressant seulement voilà, il n'y avait que des femmes et j'aurai aimé que la gente masculine y fût représentée car la parité est importante du moins en ce qui me concerne. Je suppose que les ressentis ne sont pas les mêmes pour les deux sexes, quoique parfois certains hommes ont plus de sensibilité que nous autres ' sexe faible '. Toujours est-il pour en revenir à ce groupe de lectures diverses, j'ai beaucoup aimé et appris pas mal de choses, savoir accepter les critiques de chacun, les échanges et points de vues différents au sujet d'une phrase et parfois même un mot employé, bref je suis certaine, que tu y trouveras du plaisir et que tu seras bien acceptée ".
Ce matin, elle a un rendez-vous pour donner un cours de maths, il ne faut pas qu'elle se mette en retard car elle a besoin de cet argent. La maison de la jeune fille est assez éloignée de chez elle il lui faut donc prendre le bus. Sa carte d'abonnement arrive à expiration et elle devra la faire renouveler, ce qui risque de lui demander un peu de temps.
L'adolescente qui lui ouvre la porte a un grand sourire, et respire la joie de vivre. Elle lui dit qu'elle est nulle en maths et qu'elle a besoin d'une personne patiente, qui saura lui expliquer. Sans préambule qu'elle lui avoue ne pas aimer les maths mais qu'elle n'a pas le choix si elle veut décrocher son bac.
" Désirez-vous boire un café ou un thé ?" lui demanda t'elle aimablement
Laura décline la proposition avec un grand sourire.
"J'ai de fréquents maux de tête et je préfère éviter si je veux pouvoir vous aider."
Il est temps de se mettre au travail et Marlène, c'est son nom, sort son livre de maths et le classeur où elle fait tous ses exercices. Laura constate qu'elle n'a pas compris grand-chose, il va falloir reprendre depuis le début de l'année afin de lui donner toutes les bases dont elle a grand besoin. Elle la met tout de suite à l'aise en lui disant qu'elle peut lui poser autant de questions qu'elle veut, son unique souhait étant qu'elle comprenne. Les maths sont une question de logique mais ce n'est pas donné à tout le monde et dans notre système éducatif, seuls les meilleurs, tirent leur épingle du jeu. Marlène est assidue et sa maman lui confirme qu'elle est prête à débourser ce qu'il faudra, à condition, bien sûr, que ses résultats scolaires s'améliorent. L'heure est vite passée et rendez-vous est pris pour vendredi, même heure. Elle lui propose de la régler chaque fin de semaine, en fonction du temps passé, ce qui lui convient tout à fait. Laura prend donc congé.
" A vendredi et essaie de faire les exercices que je t'ai donné. Au revoir Madame et toi Marlène, courage tu vas y arriver."
Laura a toujours insisté sur le fait d'encourager les élèves en difficulté, et de plutôt essayer de comprendre leur façon de raisonner que de les mettre dans une case d'inaptes. Nos facultés de comprendre, d'analyser, de mettre en pratique nos acquits ne sont pas souvent exploitées correctement. Il faut savoir les stimuler et tout cela demande une certaine patience et elle pense l'avoir. Il lui faut garder ce job, il peut lui servir de référencement pour d'autres.
Profitant d'un peu de temps libre, elle retourne sur "Le bon coin " à la recherche d'une table de salle de séjour en verre et fer forgé, de 120 cm de diamètre maximum et des 4 chaises assorties pour rester dans le même style. Elle a aussi besoin d'une sellette ou d'un guéridon, toujours dans les mêmes matières pour mettre le Spatyphillum que sa mère lui a offert pour son anniversaire et auquel elle tient beaucoup. Elle ne veut pas beaucoup de plantes mais il lui semble important d'avoir une petite touche de verdure, d'autant que, ses jolies fleurs blanches, sont du plus bel effet.
Pour limiter les frais, son petit meuble d'ordinateur fera parfaitement l'affaire puisqu'il est équipé de 2 tablettes en verre.
Elle épluche les offres et repère ce qu'elle cherche. A cette heure-ci les gens travaillent, elle va donc envoyer un mail pour s'informer de la disponibilité de la table et des chaises et donne son numéro de portable. Il ne lui reste qu'à attendre.
Sa patience a été récompensée et son petit intérieur est parfaitement à son image, chic et douillet. Elle envisage de faire une pendaison de crémaillère, sans prétention, seulement entourée des personnes qu'elle aime. Tout se met en place dans sa tête. Elle va enfin vivre et mordre à pleines dents dans cette vie, tout en étant parfaitement consciente que ce ne sera pas rose tous les jours. Elle est jeune, pleine d'enthousiasme et a la chance de voir toujours le verre à moitié plein.
Elle reçoit un message de sa mère. Il faut que ce soit urgent pour qu'elle lui envoie un message, car en général, elle préfère entendre la voix de sa fille.
"Nous avons reçu un courrier des Éditions "Écrire pour lire", si tu peux venir chercher la lettre, c'est peut-être une réponse à l'un de tes courriers".
Ce soir, c'est un peu tard, il n'y a plus de bus, mais elle ira demain matin à la première heure. Elle pourrait demander à sa mère d'ouvrir l'enveloppe, mais, si c'est négatif, elle va encore en être peinée. C'est à elle de le faire, de supporter les déconvenues, car ce genre de situation forge le caractère. La vie n'est pas comme on la planifie, elle a aussi ses virages et ne reste pas toujours une belle ligne droite. Elle ose penser à une bonne nouvelle. Pourquoi pas ? Il faudra bien qu'elle arrive un jour, il ne peut en être autrement ! Mais, Laura tient à se raisonner, et décide de continuer de trier un peu ses affaires avant d'aller se coucher.
Elle lit et relit le message de sa mère. Son esprit s'emballe ! Et si.... si elle réalisait son rêve, si elle avait la possibilité d'influer, un tant soit peu, sur le destin d'un jeune écrivain. Elle adore lire, c'est son oxygène et puis, elle ne l'a dit à personne, elle a noirci des cahiers et des cahiers avec des histoires sorties tout droit de son imaginaire. Ils sont dans le tiroir de son bureau. Peut-être, un jour, les sortira-t-elle de l'oubli dans lequel elle les a enfermés. Elle est incapable de continuer son rangement, il faut qu'elle se pose, qu'elle fasse le vide dans son esprit. Comme toujours, dans ces cas-là, elle prend un carré de chocolat noir qu'elle savoure doucement. Ensuite,elle prendra une bonne douche en laissant couler l'eau chaude sur son corps pour dénouer tous les muscles qui la font souffrir à chaque fois qu'elle est stressée. Elle espère quand même passer une bonne nuit, mais c'est loin d'être gagné. Trop de pensées se bousculent dans sa tête. Elle éteint la lumière. Demain est un autre jour.
Le lendemain matin, réveillée avant que le soleil se lève, elle décide de se rendre chez ses parents. Elle arrive donc à l'arrêt de bus, un peu fatiguée vu que son sommeil fut très perturbé par toutes sortes d'idées, s'y engouffre et redescend quelques rues plus loin. Les volets de la maison familiale sont ouverts, il y a de la lumière dans le salon et sans même sonner au portillon, elle se rend dans la cuisine où déjeunent ses parents pour les saluer.
"Ce que tu cherches est dans le corridor, à côté du téléphone", lui dit sa mère.
Le cœur de Laura se met à battre de plus en plus vite. Elle pressent que cette lettre est un signe du destin. D'une main tremblante, elle déchire l'enveloppe, et son regard tombe immédiatement sur le mot "rendez-vous". Là, elle prend le temps de s'asseoir, et relit ce courrier attentivement. Elle doit se rendre à un entretien ! Enfin ! Elle sent la joie l'envahir, les larmes monter, et elle s'écrit :
"Maman, papa, j'ai un entretien la semaine prochaine, c'est pour remplacer une personne qui part à la retraite. Ce serait pour un travail de lectrice et j'aurai aussi d'autres responsabilités au sein de l'entreprise, qui serait sur l'évolution et le suivi de jeunes auteurs."
Ce serait tellement chouette si ce nouvel emploi était confirmé ! Certes elle n'en est pas là car il faudrait en connaître les tenants et aboutissants, la rémunération qui, pense t'elle, ne serait pas un pactole dans l'immédiat mais avec le temps ...Elle se voit comme Perrette et le pot au lait, fait mille projets à la fois, mais elle trouve que ce n'est pas raisonnable. Il vaut mieux attendre cette entrevue qui devrait bien se passer. Elle adore écrire et lire comme elle l'a déjà signalé dans sa lettre adressée lors de sa demande d'embauche, donc être lectrice la comble de joie ! Elle aime aussi ce climat d'échanges à propos des ressentis de chacun, et dénicher un talent lors de lectures proposées comme des romans et nouvelles, doit être vraiment gratifiant. Quelle joie alors de penser que peut-être grâce à ses commentaires et son point de vue, un écrivain trouvera sa place peut-être au Panthéon un jour ! C'est tout à fait elle, avec son imagination débordante, elle se voit comme une dénicheuse de talents mais pourquoi pas ? Elle taquine également la plume et qui sait, là aussi il pourrait y avoir un coup de pouce en ce qui la concerne. Elle a vraiment hâte d'être de voir défiler les jours, et elle va tout faire afin de ne pas arriver à son rendez-vous avec une mine de papier mâché. Elle doit s'occuper un peu d'elle !
Elle se laisse tomber sur le canapé et savoure chaque mot. Enfin, sa toute jeune vie d'adulte se précise, une porte vient de s'ouvrir, un nouveau chemin s'offre à elle. Elle est impatiente de rencontrer cet Éditeur pour pouvoir lui expliquer ce qui la motive, ce qui la fait vibrer. Elle a cette fougue de la jeunesse, cet envie de croquer la Vie, d'apprendre encore et encore. Elle a cette soif de connaissances, cette envie d'expliquer son point de vue. Ce besoin de s'investir pleinement dans un domaine qui la fascine et qui lui procure un bonheur incommensurable. Avec l'inconscience de la jeunesse, elle est persuadée que tout est possible et elle va s'employer à transformer ses rêves en réalité.
Elle ne peut pas garder ce bonheur pour elle, Claude et Jacqueline doivent être mis au courant, ils ont toujours été là pour elle. Un petit texto à chacun et elle donne rendez-vous à son amie à l'appartement. Elles ont prévues de s'y retrouver pour peaufiner la décoration. Claude doit les rejoindre pour poser la glace.
Le soleil joue à travers les rideaux de la salle de séjour qui est baignée de lumière, la température commence à se réchauffer. Dans l’encoignure de son balcon, un couple d’hirondelles commence la construction de leur nid. Elle va mettre quelques cartons sous le nid pour pouvoir nettoyer plus facilement.
Claude lui a déniché un joli meuble bas qu'il a lui-même repeint en blanc, il est du plus bel effet et accueille le petit téléviseur que ses parents lui ont offert. Une lampe de sol diffuse une lumière très douce, juste ce qu'il faut pour regarder la télévision sans avoir mal aux yeux. Elle compte les jours qui la séparent de son entretien. A vrai dire, elle a du mal à gérer tous ces sentiments qui se bousculent dans sa tête et passe d'un enthousiasme un peu fou, à des moments de doute. Son frère la rassure. "C'est normal, tu dois être patiente et croire en toi". Pour lui changer les idées, il a acheté trois places de théâtre, Jacqueline, étant d'office dans les sorties. Une comédie de boulevard ce soir à vingt heures trente, il passera les chercher à l'appartement et les ramènera ici puisqu'elles ont décidées d'y dormir.
La cuisine est opérationnelle et elles descendent faire quelques courses."A ce soir les filles, je passe vous prendre pour vingt heures".
Laura décide de préparer un Tea Time afin de pouvoir patienter jusqu'à la fin de la représentation. Ce ne sera pas la version traditionnelle, mais qu'importe, il suffira juste d'imaginer ! Elle confectionne donc des mini sandwiches triangulaires avec du pain de mie, de la mousse de canard qui remplacera le saumon, et du boursin. Elle ouvre une boîte de petits gâteaux secs et fait bouillir de l'eau pour son thé préféré, le Earl Grey. Elle se souvient de ce séjour à Londres organisé par son lycée et s'empresse d'en raconter quelques passages à son amie. Toute sa classe attendait avec effervescence la relève de la garde car certaines avaient fait le pari de pouvoir faire sourire les Coldstream Guards, avec leurs bearskins si enfoncés sur leurs têtes, qu'on ne voyait même pas leurs yeux. Et Trafalgar square ! Certes, il y avait cette immense colonne Nelson entourée de ses quatre lions en bronze, mais ce n'est pas ce qui attirait le plus leurs regards. Elles se trouvaient au centre d'un défilement incessant de toutes sortes de gens, prises entre la nonchalance des touristes et le flegme "accéléré" des Anglais, et au loin Big Ben trônait très fièrement, assurant sa renommée. Et tous ces hommes, chapeau sur la tête et canne ou parapluie en main, manteau noir, qui déambulaient sur le Tower Bridge en direction de la City !
Le temps passe, il faut songer à se préparer car Claude ne va pas tarder à arriver et il n'aime pas trop attendre.
Il ne fait pas chaud ce soir, un petit deux degré, la pluie s'est invitée. Elle est donc vêtue d'un pantalon et d'un petit pull fin mais chaud. Elle a ressorti sa doudoune et propose à Jacqueline de lui prêter un pull. Il faisait beau cet après-midi et la sortie théâtre n'était pas prévue. Confortablement installées sur le canapé, elles savourent le thé à petites gorgées gourmandes tout en parlant de Londres que Jacqueline ne connaît pas. Elle lui pose une foule de questions et elle répond avec plaisir. Son portable sonne. Marlène est au bout du fil. Excusez-moi de vous déranger mais j'ai une amie de classe qui aurait besoin de soutien en maths, je vous donne le numéro de téléphone de sa maman, qui m'a chargée de vous appeler. Laura remercie. C'est une bonne nouvelle, elle a vraiment besoin de travailler et puis, l'attente du premier entretien lui paraîtra moins longue si elle a l'esprit occupé. Le temps est passé très vite, juste le temps de s'habiller et son frère est de retour.
La pièce de théâtre n'a pas été à la hauteur de leurs attentes, trop superficielle, mais ce n'est pas grave, elles ont néanmoins passé une excellente soirée. Claude les raccompagne devant l'immeuble et attend que la lumière s'allume dans la cuisine avant de repartir.
Jacqueline demande s'il serait possible de boire quelque chose de chaud avant de dormir.
"Ça tombe bien, j'ai un excellent Rooibos des Vahinés, délicieusement vanillé et sans théine. Avec une cuiller de miel, tu m'en diras des nouvelles." L'eau chante dans la bouilloire, elles se sont mises à l'aise, un plaid sur les genoux, imaginant ce que sera leur vie.
Jacqueline, mise enfin dans la confidence, sur les écrits de Laura, l'encourage dans cette voie. Elle n'a lu qu'une petite partie mais son amie a du talent, elle en est convaincue. En attendant, elles cherchent des informations sur la Maison d’Éditions qui a contacté Laura. Google est un outil fabuleux et elles apprennent absolument tout en en temps record. Poussées par la curiosité, elles continuent à consulter d'autres maisons d’Éditions. Elles ne voient pas le temps passer. Il va être deux heures du matin, il est grand temps d'aller dormir. Laura éteint l'ordinateur. A peine la tête posée sur l'oreiller que déjà Morphée les a prises dans ses bras.
Laura ouvre les yeux, son regard se pose sur le réveil. Déjà 10 heures! Elle secoue son amie. "Coucou ma Belle, tu as bien dormi ? Tu as vu l'heure ? Si tu veux être à l'heure pour déjeuner avec tes grands-parents, il faut que tu te dépêches. Je te prépare un thé et des toasts grillés pendant que tu prends ta douche."
Jacqueline est partie et elle savoure ce moment de calme, son esprit vagabonde, une nouvelle histoire est entrain de naître. Elle s'empare de son stylo, surtout ne pas perdre le fil. Le soleil est omniprésent et illumine le petit salon décoré avec soin. Elle a ouvert la fenêtre pour aérer mais l'a bien vite refermée, la température extérieure avoisine les 2 degrés, une très bonne raison pour rester au chaud et raconter à sa feuille ce qu'elle ressent. Elle va se payer le luxe de se mettre en tenue d'intérieur, un pyjama polaire hyper confortable qu'elle affectionne particulièrement. Pas de visite de prévue, la journée lui appartient totalement. Elle prend la photo posée sur le buffet où ses parents et son frère semblent la regarder et lui insuffler toute l'énergie dont elle a besoin. Depuis quelques temps, elle a l'impression que Claude n'est plus tout à fait le même. Elle l'a surprit plusieurs fois, un sourire béat sur le visage, il serait amoureux qu'elle n'en serait pas surprise mais elle connaît sa pudeur et sa difficulté à se confier. Comme d'habitude, elle va le laisser venir. Sa seule préoccupation est son bonheur, il le mérite. Elle est toute prête à le partager dès lors qu'elle aura la certitude qu'elle ne le fera pas souffrir et que son amour pour lui et sincère. Peut-être se fait-elle des idées ? Qui vivra, verra.
Après avoir écrit quelques pages, ses pensées se détournent soudain de son récit. Elle pense de nouveau à cet entretien et il lui faudrait peut-être le préparer un peu ! Il ne s'agit pas de faire une liste avec des questions et réponses imaginaires, non, mais seulement de se concentrer sur certaines choses pour penser à les aborder. Donc, elle réfléchit et écrit quelques annotations pour "vendre ses qualités". Ceci fait, elle se promet de les lire chaque jour et il ne lui en reste que deux, aujourd'hui et demain ! Mais, elle est très confiante en elle, elle s'exprime très bien, n'a pas peur de ce challenge, n'appréhende pas trop, enfin, pour l'instant ! Elle se met une petite musique classique, toute douce, et commence à mettre un peu d'ordre dans ses papiers. Elle doit penser à prendre les fiches d’appréciations que ses responsables de stages avaient rédigées à son égard. Cela peut lui servir à confirmer le fait qu'elle est vraiment déterminée, que son travail est régulier, et qu'elle est toujours à fond dans ce qu'elle entreprend. C'est avec une certaine fierté que, d'ailleurs, elle les relit.
"sauvegardé"
Confortablement installée, elle n'a pas vu le temps passer mais son estomac la rappelle à l'ordre, elle n'a rien mangé depuis hier soir, hormis le thé bu avec Jacqueline ce matin. Le contenu du frigo lui permet d'y remédier. La mousse de canard est excellente, elle va garder le boursin pour ce soir et prend un yaourt. Une orange complètera parfaitement ce petit repas. Un thé vert à la menthe remplacera avantageusement le café qu'elle ne digère plus depuis quelques mois.
Invariablement, ses pensées la ramènent vers son entretien. Et si, elle n'avait pas tout compris du rôle d'un Comité de Lectures ? Soudainement prise de doutes, elle retourne sur Google et relit avec attention les renseignements donnés. C'est bien ça, tout est clair dans son esprit. Rassurée, elle met son ordi en veille et décide de regarder un documentaire sur le Canada. Elle n'aime pas le froid mais les paysages la fascinent, c'est une excellent façon de voyager et de laisser libre cours à son imaginaire. Qui sait, cela lui inspirera peut-être , une nouvelle histoire.
La pendaison de crémaillère est toujours dans son esprit mais elle n'en n'a pas encore parlé préférant attendre le résultat de son entretien en espérant secrètement pouvoir faire d'une pierre, deux coups.
Elle se remémore tout ce qu'elle a lu sur Internet et prends conscience de toutes les difficultés qu'elle aura à surmonter. Elle n'a aucune expérience, ce n'est pas certain que son solide bagage littéraire suffise. Et puis, ce n'est pas rémunéré, il va donc lui falloir jongler avec son emploi du temps tout en privilégiant les emplois avec un salaire à la clef. Tout cela la perturbe au plus haut point. " Allez ma Belle, ressaisis-toi, pour l'instant, tu n'es pas encore allée à ton entretien, il sera toujours temps de t'inquiéter si ça ne se passe pas comme tu l'as imaginé
Son portable sonne, sa maman est au bout du fil. Comme d'habitude, elle s'inquiète. Elle la rassure " J'ai juste besoin d'être un peu seule pour me retrouver et puis, il faut que je m'approprie mon nouvel environnement. Je me sens très bien chez moi. J'ai tout ce qu'il me faut. Je t’appelle demain. Je vous embrasse tous les deux. "
Elle s'est réveillée de bonne heure mais paresse un peu au lit, Elle sourit en pensant à sa nouvelle vie, elle est autonome et c'est très important, Hier soir, elle a fait son ménage à fond, c'est si agréable de se retrouver dans un appartement qui fleure bon le propre et les bougies parfumées qu'elle a mis un peu partout apportent une touche de sophistication. Les yeux grands ouverts, elle contemple les tableaux que son père a peint, pas de doute, il a du talent.
Elle s'installe devant une grande tasse de thé fumant, elle s'est fait griller des toasts et savoure une confiture de cerises faite par sa mère. Après ce petit déjeuner royal et une bonne douche, elle se sent prête à affronter le monde. Enfin, c'est beaucoup dire. ..
En tout début d'après-midi, elle doit rencontrer sa nouvelle élève. Elle n'est pas déçue, elle se retrouve en face d'une jeune fille grande et mince avec un superbe sourire, la voix est agréable « Je suis Coraline et la meilleure amie de Marlène , comme elle je suis nulle en maths et presqu'autant en physique » et elle ajoute en souriant » J'espère que vous êtes plus patiente que ma prof de maths, avec elle, ce n'est pas possible de poser des questions. Elle la rassure. Il est temps de commencer à travailler. Elle constate qu'elle a d'énormes lacunes mais elle a confiance en sa méthode de travail et ne doute pas de pouvoir l'aider. L'heure est passée très vite et la maman de Coraline vient de rentrer. » Bonjour, vous avez fait connaissance ? J'espère que vous pourrez aider ma fille, elle a tendance à baisser les bras à la première difficulté. « Ne vous inquiétez pas. Je lui ai d'ailleurs donné quelques exercices pour mercredi après-midi. Après s'être mises d'accord sur les honoraires, elle prend congé.
Son entretien arrive à grands pas, elle aurait besoin d'aller chez le coiffeur, rien de sophistiqué, juste une bonne coupe et un coiffage aux doigts pour donner du volume à ses cheveux. Elle va de ce pas prendre rendez-vous, avec un peu de chance, sa coiffeuse pourra la prendre maintenant, cela fait des années qu'elle est cliente et n'a jamais eu le moindre problème.
Une heure après, elle est sortie.
A cette heure-ci son père est dans son atelier. Il a commencé un nouveau tableau : Une cascade qui se jette dans un petit lac où des cygnes évoluent gracieusement au milieu d'un paysage printanier. Ce nouveau chef-d’œuvre trouvera parfaitement sa place dans le salon ,juste au- dessus du téléviseur. Sa mère est probablement dans le jardin occupée à retirer les mauvaises herbes. Elle se réjouit de leur faire la surprise. En passant, elle s'arrête acheter trois tartelettes au citron, un régal avec une bonne tasse de thé
Elle délaisse le bus et se dirige d'un pas ferme vers la maison de ses parents, une bonne marche lui fera le plus grand bien. En arrivant, elle entend la musique qui provient de l'atelier, son père est fan d'accordéon et elle a baignée dedans depuis sa naissance. Le bruit de la porte le fait se retourner « C'est toi, ma chérie, tu es allée chez le coiffeur, cela te va très bien. Prête pour demain ? » Elle répond par l'affirmative.
« Maman est dans le jardin ? Je vais la retrouver « Un petit baiser sur la joue de son père et elle sort en chantonnant.
« Coucou maman, tu n'es pas raisonnable, tu vas encore avoir mal dans les reins, viens,on va boire un thé, j'ai apporté les gâteaux. »
Ses parents veulent tout savoir « Tu te plais chez toi ? Tu as des voisins sympas ? « Devant ce flot de paroles, elle les rassure.
« J'ai juste besoin de passer un petit moment avec vous. »
Les rires fusent, une réelle complicité les unit. Par pudeur, ses parents ne lui posent aucune autre question, ce n'est pas la peine d'en rajouter. Ils sentent le stress de leur fille et préfèrent s'en tenir à des propos légers.
Elle ne s'attarde pas ayant encore quelques courses à faire avant la fermeture des magasins.
De retour chez elle, elle examine sa penderie. Elle possède une petite jupe noire qui devrait tout à fait faire l'affaire, assortie d'un petit chemisier fleuri qui lui donne bonne mine. Il ne fait pas encore très chaud, loin de là et sa petite parka sera la bienvenue, légère tout en étant chaude, elle affine sa silhouette. Ce problème réglé, elle essaie d'imaginer l'entrevue de demain, Tout se bouscule dans sa tête. Elle doit impérativement faire le vide dans son esprit si elle veut être au top . Elle hésite à appeler Jacqueline et décide de ne rien faire, son amie va obligatoirement lui parler de son entretien et ce n'est pas ce dont elle a besoin. Par contre la voix de son frère lui manque, avec lui, elle n'a pas à faire semblant, il comprend tout, tout de suite et sait se montrer discret . Elle est certaine qu'il n'abordera pas le sujet le premier. Et puis, elle veut savoir où il en est dans l'écriture de son dernier morceau de musique.
Au moment où elle prend son portable, celui-ci sonne. « Coucou petite sœur, comment vas-tu ? Juste pour te rappeler que je passe te prendre demain matin à 9 h, ton train pour Paris n'étant qu'à 10 h, cela nous laisse une petite marge pour aller à la gare . Je t'ai préparé un plan du métro avec les directions à prendre et le nom des stations. Tu verras, c'est facile, tu n'as qu'un seul changement à Paris Bastille.
Tout va bien se passer, tu es une battante et tu sauras trouver les mots pour convaincre. Je te laisse te reposer. Essaie de passer une bonne nuit A demain Bisous.
Pour limiter les frais, elle a prévu d'emporter un sandwich jambon beurre avec du pain de mie , une petite tablette de chocolat noir et une bouteille d'eau. Elle boira un café dès qu'elle sera sur les lieux de son rendez-vous.
Elle retourne encore une fois sur Internet voulant s'assurer que rien ne lui a échappé. L'heure tourne et elle se résigne à aller se coucher tout en sachant très bien que ce sera une nuit blanche. Jacqueline vient de lui envoyer un message d'encouragement, elle non plus ne doute pas de sa capacité à convaincre. Que c'est bon de pouvoir compter sur une amie comme elle !
Il n'est pas encore sept heures que, déjà, elle est dans la salle de bains et se plonge avec délice dans une eau parfumée à température idéale, elle joue avec la mousse comme lorsqu'elle était petite. Elle est tendue et faire le vide dans son esprit est mission impossible.
L'eau chante dans la bouilloire, une tasse de thé et quelques toasts et elle retourne dans la salle de bains. Une bonne crème de base et un fond de teint pour dissimuler ses cernes, un peu de blush et un rouge à lèvres corail pour lui donner bonne mine. Elle reprend un peu d'assurance en se contemplant dans la glace. Finalement, sa nuit blanche n'a pas laissé trop de traces sur son visage.
Claude ne va pas tarder. Un dernier coup d’œil dans l'appartement la rassure, tout est en ordre, elle peut partir tranquille.
Elle monte dans le train l'estomac noué. Les dés sont jetés. De toute façon, elle va se rendre directement sur le lieu de son rendez-vous, peut-être aura-t-elle le temps de boire un café ?
En arrivant Gare de l'Est,elle est un peu perdue, il y a longtemps qu'elle n'a pas pris le métro et le plan de son frère lui est d'un grand secours.
Elle est arrivée sans encombre. D'abord, il lui faut trouver la rue. Elle s'imagine un immeuble imposant et découvre qu'il n'en est rien, juste un petit fronton sur le bâtiment lui indique qu'elle est à la bonne adresse. Elle
est en avance et a repéré un petit bistrot où elle va s'installer pour tuer le temps en buvant un café. Elle suit avec intérêt les vas et viens et s'amuse de la petite fille qui fait une colère parce que sa maman lui refuse un bonbon, Plus loin, une dame porte son caniche pour traverser la rue. Sur le trottoir, un jeune garçon vend ses premières jonquilles. Malgré la fraîcheur, un petit parfum de printemps flotte sur la Capitale.
Après avoir payé sa consommation, elle se dirige vers l'immeuble au coin de la rue. Elle lit les plaques apposées sur le mur « Lire pour Écrire « 3ème étage. Elle consulte sa montre et éteint son portable, elle est un peu en avance, c'est parfait. Il y a quatre portes sur le palier et ses yeux se posent immédiatement sur la bonne. Une plaque indique SECRETARIAT, elle frappe et entend une voix jeune « Entrez »
Son cœur bat la chamade « Bonjour Madame, je suis Laura Beaufort, j'ai rendez-vous avec Monsieur Lenoir
« Asseyez-vous, monsieur Lenoir est encore en entretien, je vais l'informer de votre arrivée «
Le regard de Laura s'attarde sur la jeune femme. Indubitablement, elle est belle, toute en simplicité, avec un sourire radieux. A ce moment, elle l'envie un peu, si seulement elle pouvait afficher un visage aussi serein. Elle détaille la pièce où elle se trouve, il y règne une ambiance paisible, les meubles cossus et de bonne facture rendent la pièce agréable. Un anthurium violine de toute beauté, trône sur un classeur à côté du bureau. La pièce est chaleureuse, espérons qu'il en sera de même avec le Directeur !
« Entrez Mademoiselle, vous avez fait bon voyage ? »et sans attendre la réponse, il enchaîne.Votre candidature m'a intrigué,Votre CV est très riche, vous avez de bonnes références mais aucune expérience dans ce domaine. Savez-vous ce que signifie « Lire en diagonale « Mentalement, elle remercie Internet « Oui, ça veut dire survoler un texte « Au départ c'est ce que nous faisons. Chaque jour plusieurs livres nous arrivent de jeunes auteurs qui rêvent de publication et nous devons faire un premier tri. Étant donné qu'il faut une certaine habitude pour faire ce travail, je ne pense pas que cela soit possible mais nous avons besoin d'une personne pour faire du classement en fonction des sujets traités dans chaque livre. Votre CV joue en votre faveur mais j'ai encore plusieurs candidates à recevoir, je ne peux donc pas vous donner une réponse tout de suite mais vous aurez très prochainement de mes nouvelles . Vous n'êtes pas sans savoir qu'il n'y a aucune rémunération bien que ce soit du travail à temps plein. Laura masque son désappointement sous un sourire.
« Au-revoir, mademoiselle , je vous tiens au courant le plus rapidement possible.
En sortant de son entretien,Laura est totalement démoralisée. Comment a-t-elle pu être aussi naïve, elle aurait dû se douter que les places seraient chères et puis cela l'obligerait à vivre à Paris. Financièrement, c'est pratiquement impossible. Elle s'était imaginé recevoir les livres chez elle et pouvoir donner son avis en remplissant chaque formulaire joint à l'ouvrage. Elle avait lu sur Internet que certaines maisons d’Éditions réunissaient ses collaborateurs une fois par semaine pour discuter des livres en projet de parutions. C'est ce qui l'avait motivé pour poser sa candidature. Malheureusement, ça ne s'est pas passé comme elle l'espérait.
Curieusement le soleil lui paraît plus pâle et elle frissonne. Elle se dirige vers le métro et n'a qu'une hâte : retrouver la quiétude de son appartement et faire le point. Cela lui apprendra à bâtir des châteaux en Espagne !Comme convenu, elle appelle son frère pour lui dire qu'elle sera à la gare à 20 heures, et élude ses questions, il sera toujours temps de lui expliquer ce soir. Elle avait prévu d'aller faire un petit tour dans le Marais mais cela n'a plus la même saveur, elle prend donc le métro direction Gare de l'Est. Pour patienter, elle va se plonger dans la lecture d'un roman en savourant un thé
Le retour s'est passé sans incident et elle se jette dans les bras de Claude. Elle a du mal à réprimer ses larmes et son frère ne lui pose aucune question, il sait qu'elle lui racontera quand elle sera prête. « Je suis sûr que tu as faim, je t'offre une pizza « chez Serge « , je sais que tu adores, et ne me dis pas non, tu vas me vexer «
Elle a hâte de rentrer chez elle mais son frère est si gentil, elle a conscience qu'il ne cherche qu'à lui faire plaisir, elle n'a pas d'autres choix que d'accepter et puis ça lui changera les idées. Les pizzas » chez Serge » sont délicieuses et l'ambiance y est des plus agréables.
Son portable sonne, c'est Jacqueline « Je suis désolée mais je suis HS, j'ai besoin de me reposer, on parlera demain mais ne t'inquiète pas, je vais bien. Bisous « Elle s'en veut un peu, elle a été plus sèche qu'elle ne l'aurait voulu mais ce soir, elle n'a pas envie de raconter, il faut qu'elle digère, qu'elle relativise. Demain est un autre jour.
Tout en dégustant sa pizza, elle aborde le sujet qui lui tient à cœur « Tu en es où de l'écriture de ton nouveau morceau ? Tu sais dans combien de temps il sera enregistré ? J'ai hâte de l'écouter »
« Calme toi ma Puce, tu sauras tout en temps et heure mais j'ai pratiquement fini, encore quelques arrangements que je dois peaufiner avec les copains , je te promets que tu seras la première à écouter mon CD
Un grand sourire éclaire son visage, sa sœur est la personne la plus importante pour lui à égalité avec ses parents.Le temps est passé très vite, la pizzeria s'est vidée et le serveur attend avec impatience leur départ. Pour lui aussi la journée a été longue.
En rentrant chez elle, elle prend connaissance de son courrier, une lettre de l'Académie l'intrigue. Elle n'en croit pas ses yeux, un poste de professeur stagiaire en français est disponible au lycée Paul Verlaine, ce n'est qu'en remplacement d'un congé maternité mais au moins, elle sera rémunérée, ça lui met du baume au cœur. Elle doit se présenter le jeudi vingt trois avril à seize heures, au-dit lycée, peut-être un début de quelque chose ?
Elle appelle ses parents « Je passe vous voir demain, je mangerai avec vous et je vous raconterai Bonne nuit Bisous «
Pelotonnée dans son lit, elle fait le point de sa journée, la déception passée, elle fait la part du pour et du contre . Elle vient de réaliser que ce n'est pas gérable , elle ne donnera pas suite pour Paris, si tant est, qu'elle ait une réponse favorable. Soulagée d'avoir pris sa décision, elle se concentre sur ce nouvel emploi qui se profile, même s'il n'est que temporaire.
Son besoin d'écrire est toujours aussi vif, c'est important pour elle de pouvoir transcrire ses émotions , jouer avec les mots, en user et en abuser. Elle fourmille d'idées qu'elle va devoir discipliner pour en faire un récit qui tienne la route et surtout qui captive le lecteur, ce qui n'est pas gagné.
Il va lui falloir cibler ses priorités et s'y tenir. Elle n'a aucun doute, ce poste d'enseignante est pour elle, son bagage est amplement suffisant, et puis, elle y a fait ses études, c'est un argument de poids, d'autant que le Directeur lui a fait des recommandations des plus élogieuses quand elle a obtenu son diplôme.
Elle repense à sa pendaison de crémaillère, elle en parlera avec Jacqueline demain, son amie a toujours des bons plans pour limiter les dépenses.
Décidément, elle est incapable de se concentrer sur quoique ce soit et zappe sur les chaînes télé sans succès. Peut-être un petit carré de chocolat ? En entrant dans la cuisine, son regard est attiré par une lettre, sans doute, l'a -t-elle fait tomber tout à l'heure. Elle tourne et retourne l'enveloppe, l'écriture ne lui est pas inconnue. Une invitation à l'anniversaire d'une copine de fac . Voilà qui lui fait plaisir, elles s'entendaient bien, quelle bonne idée de revoir Martine! L’événement est prévu le samedi 15 Mai à 20 heures, elle pourra dormir chez elle et ne repartir que le dimanche dans la journée. C'est tout à fait envisageable. Elle la revoit, une jeune fille menue, pas très grande, toujours impeccablement maquillée et surtout le rire facile. C'est ce dont elle a besoin. Si sa mémoire est bonne, Martine a un frère, Alain, qu'elle avait trouvé très mignon et qu'elle reverra avec plaisir.