La dualité et les mémoires
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Si l’on se tourne vers les spiritualités de l’Orient, qui ont des grilles de lecture intéressantes concernant les phénomènes mentaux, on ne trouve pas le concept d’émotion tel qu’il est dépeint chez nous.
C’est le terme sanskrit klesha, signifiant « passions » ou « afflictions », qui est utilisé le plus souvent dans le bouddhisme comme dans le Yoga sutra (voir encadré).
Klesha sous-entend souffrance, cependant, il est aussi possible d’en faire le terreau de l’évolution, pour peu que l’on en comprenne le fonctionnement. Pour cela, il faut envisager comment se crée le moi, ou ego, celui qui va réagir dans l’expérience et ressentir les émotions :
« Il est un vaste tissage des mémoires du monde qui fait qu’en un lieu de conjonctions apparaît : moi », explique l’enseignement millénaire indien, le Sāmkhya Kārikā. Ce moi entre en interaction avec tout ce qui est autre que lui-même, à l’aide de ses cinq sens et de ses mémoires. C’est ici qu’apparaissent les passions, les « émotions », les jugements de ce que nous rencontrons.
Les cinq sens, c’est le corps qui « discrimine » immédiatement les sensations en agréables ou non, neutres éventuellement. Il aura tendance à vouloir réitérer ce qu’il apprécie et fuir le reste ; ici se crée une mémoire, qui s’associe aux anciennes qui nous constituent, nos vies antérieures.
Ainsi, nous avons une polarité intrinsèque qui oscille entre désir et peur face aux expériences : c’est être pris dans la dualité. Nous ne sommes pas dans la vraie rencontre, mais dans un jugement. « Tant que je réitère l’expérience selon une représentation heureuse et tant que je crois qu’il faut fuir une représentation malheureuse de l’expérience, je recommence selon un cycle conditionné aux mémoires, c’est l’enfermement dans l’existence », explique Joachim Vallet, enseignant du Yoga sutra. La souffrance viendrait de la fuite ou de l’avidité, ou encore des réactions excessives que génèrent les émotions.
Dans les enseignements de yoga, « le dysfonctionnement consiste à être dans un désir conditionné par l’attraction ou l’aversion, alors qu’une relation véritable devrait nous nourrir, nous enseigner. Être vraiment en relation, de cœur à cœur, produit une connaissance qui n’est pas une mémoire conditionnante, c’est samadhi, ce qui est nommé Éveil. Sinon, c’est l’identification aux mémoires, à leurs versants illusoires qui nous prennent alors que nous sommes dans l’émotion », précise Joachim Vallet.
Nous serions « parfaits », nous serions « divins » et nous pourrions voir cela, mais selon cette philosophie millénaire, nous dysfonctionnons parce que nous réagissons en fonction de ces mémoires – appelées conditionnements –, ce qui voile notre vue et nous détache du divin, de la roue cosmique.
Chacun d’entre nous pense exister séparément des autres. Le « je », le « moi » est vécu comme distinct de l’autre.
Francesca du Forum La Vie Devant Soi https://devantsoi.forumgratuit.org