Main photo Le sceau d’Alexandre, Comte de Cagliostro (1743-1785)

Le sceau d’Alexandre, Comte de Cagliostro (1743-1785)

  • Par louxor
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A son observation, l’imagination dérive… Des nuées, un serpent, et entre ses crochets, une pomme, une flèche, la terre, une colline et des flots…

Dans quel monde Cagliostro veut-il nous entraîner ? Celui des archétypes et d’un paradis perdu qu’il aurait retrouvé pour une autre Genèse ? L’œil capte immédiatement un « S ». Puis, la raison raisonnante, certes rompue à la langue des symboles, dessine un double mouvement, l’un vers le Ciel, l’autre sur terre, l’un qui s’élance, l’autre qui retombe, l’un tout en rondeur, l’autre angulaire. Le regard, plus promptement encore, saisit un « huit ». L’Infini est-il enseigné ? Ou le Mystère des origines ? La Loi édicte-telle ses règles en toute création ou l’Œuvre est-elle Sa parèdre ? Deux courbes, qui plus encore que s’enlacer, se répondent dans le « miracle d’Une seule chose » ? Ici-bas, comment puis-je alors ignorer Ses commandements ? Et ce Sablier qui, inexorablement, compte ce qui me reste de vie, car, par trois fois, un élément signe le trépas …

L’Essentiel ne doit-il pas demeurer invisible ? 

(Texte sacré de l’ancienne Egypte)

« A son disciple, le roi ordonne : Construis un monument pour mon père Osiris, rends durables les choses très secrètes, de sorte que l’on ne puisse ni voir, ni regarder, ni connaître son corps. »

 Il n’était ni roi, ni disciple bien que fils d’Osiris.

Ego Sum qui Sum

Se « justifier », enseigner ou retransmettre ? Certes, Cagliostro est embastillé, jugé devant le Parlement et doit se défendre lors de l’Affaire du collier pour être accusé de cette escroquerie. Alors pourquoi ce Mémoire pour le comte de Cagliostro accusé contre le Procureur qui, en guise de plaidoirie, délivre plus encore un Testament philosophique ? Pour qui en vérité ouvre-t-il son cœur ainsi ? Il avait prédit la Révolution et ce sol que l’on foulerait bientôt librement là où … la Bastille ne serait plus. Ses prophéties s’arrêtaient-elles à San Leo, là où sa mission s’achevait ou devaient-elles connaître plus amples développements ? Un fils a parfois un frère…

Cagliostro

« Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu ; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j’étends mon esprit vers un mode d’existence éloigné de celui que vous percevez, je deviens celui que je désire […] Me voici ; je suis noble et voyageur ; je parle et votre âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles […] Tous les hommes sont mes Frères… je ne fais que passer […] Suis-je un noble voyageur ? »

Âge d’Homme qu’il entendait préfigurer ? Alors Cagliostro ne devait-il pas alors en desceller les Secrets ? Aborder la figure d’un être si mercuriel paraît impossible à toute lecture binaire, voire duelle où le bien et le mal tireraient chacun l’extrémité d’un cordeau comme deux bras se croisent pour faire tomber l’autre et s’avouer vainqueur. Ainsi, même la structure du plan ne saurait être conventionnelle pour tenter de percer une telle énigme… Avouons-le, il nous parle ce Sceau, il nous remue les tréfonds de l’âme et ses racines semblent même plonger au cœur de nos abysses, pourtant « C’est par notre Conscience que… ». Le Sceau est-il alors au Père ce que son Mémoire est à ses enfants… ? Mais qui est son Frère que tous les hommes incarnent jusqu’à accepter, au dernier jour, d’être l’ultime sacrifié de l’Inquisition romaine ? Le paradoxe conduit au paradoxe. Et se neutralise. Un testament s’ouvre à la mort de celui qui le lègue. Et c’est ainsi que, très souvent, on découvre le vrai visage… du trépassé qui l’a voulu ainsi.

Une idée a germé : et si dans nos rituels sommeillait la trace, la marque de son passage ? Et si Cagliostro l’avait ainsi désiré ? Un hommage pour un Homme-mage dont il connaissait l’empreinte à venir ? Un message à décrypter, caché dans le Sceau et qui le serait en temps venu (ou advenu) avec l’assistance de ses pairs.

Et dans les rituels ?

C’est à Jacques-Etienne Marconis de Nègre que nous devons les premiers indices dans son ouvrage L’Hiérophante. Développement complet des mystères maçonniques, Paris, 1839, p.3.

Marconis

« Les livres sacrés des Hébreux rendent hommage à l’initiation égyptienne, en racontant que Moïse fut instruit dans les sciences des Égyptiens, ou, en d’autres termes, qu’il fut initié. »

Au tout début du XIXe siècle, les pères fondateurs du Rite Écossais Ancien et Accepté ajoutèrent aux vingt-cinq degrés du Rite de Perfection, les huit grades nécessaires pour porter à trente-trois le nombre des degrés du nouveau Rite. Parmi ces huit «nouveaux» grades, le Chevalier du Serpent d’Airain s’inspire de la légende mosaïque et le mot du sacré du degré, «Moïse», le confirme. Le rituel de réception s’apparente singulièrement aux quarantaines prônées par Cagliostro lors des rituels de régénération :

Rituel du Chevalier du Serpent d'airain (25eme degré)

« Gravis cette montagne escarpée, tu trouveras l’herbe salutaire qui seule peut rendre la vie. »

 Et justement Cagliostro ne déclarait-il pas aussi dans son mémoire :

Rituel du Chevalier du Serpent d'airain (25ème degré)

« J’ai souffert en exil, comme Israël parmi les nations étrangères » ?

L’aspect thaumaturgique du grade est remarquable et n’est pas sans rappeler les dons de guérisseur prêtés à Cagliostro :

Rituel du Chevalier du Serpent d'airain(25ème degré)

« Moïse s’empressa de ramasser l’herbe précieuse, alla trouver un vieillard malade, passa légèrement l’herbe miraculeuse sur les ulcères enflammées […] Moïse, à sa grande satisfaction, le vit se lever de lui-même et montrer tous les signes de la santé. Moïse répéta l’opération sur tous les Israëlites. Au bout de trois jours, il ne restait plus aucune trace du fléau dévastateur qui avait frappé le peuple de Dieu. En mémoire de la guérison qu’il avait obtenue, Moïse fit faire un grand serpent d’airain qu’on promena dans le camp après l’avoir fait fixé autour d’une longue perche de bois »

 Jean-Pierre Bayard, citant René Guénon, examine le bijou du vingt-cinquième degré :

JEAN-PIERRE BAYARD, Symbolisme maçonnique traditionnel tome 2, Ed. EDIMAF

« On s’aperçoit que sa figure donne le nom de Seth. Ramené à ses éléments essentiels, S.T. de l’alphabet latin, donne la figure du Serpent d’Airain […] On remarquera que les initiales du serpent d’airain se trouvent dans le serpent et la flèche qui figurent sur le sceau de Cagliostro »

JEAN VILLIERS, Cagliostro, le prophète de la révolution, Ed. Guy Trédaniel

« Mais qui est Seth ? Le patriarche biblique ? Évidemment non puisqu’il est associé à Baal. Il s’agirait alors du redoutable dieu égyptien à la tête d’âne, le meurtrier d’Osiris, celui que les Grecs assimilèrent à Typhon. C’est encore la Bête, qui se cache sous les roseaux… En résumé, sous une forme ou sous une autre, c’est toujours l’image du premier pouvoir despotique qui remontera aux derniers jours pour retrouver sa puissance et émerveiller le monde par sa résurrection magique. Peut-on mieux définir, symboliquement, ce que le Grand Cophte allait chercher dans les souterrains égyptiens ? »

Quels que soient les jugements de valeur qui soutiennent la thèse des uns et des autres - cette dernière revenant à Jean Villiers - une certaine unanimité se dégage quant aux pouvoirs surnaturels que l’on reconnaît en cet homme, des siècles après…

Une réflexion parallèle, mais qui se croise ?

Il est crucial, sans perdre le fil de notre pensée, de bien garder à l’esprit, qu’une figure mythique va progressivement s’élaborer autour du seul nom de Cagliostro, certes de son vivant, mais plus encore après sa disparition. Ainsi l’exégèse des Rites égyptiens, en ce début de troisième millénaire, le porte à son paroxysme… Deux camps se sont toujours farouchement opposés, ses détracteurs comme ses adorateurs. Et c’est plus à titre posthume qu’ils ont été agissants. Je m’explique : ce n’est pas tant ce qu’a fait Cagliostro qui serait à craindre ou à saluer, mais ce qui serait à venir de lui, ce qui risquerait fortement d’advenir à cause ou grâce à lui (plus exactement son legs, son héritage, son Testament…). Avouons- le : éradiquer la puissance du souvenir à ce point, ou à l’inverse, qualifier de « super prophète récurrent et de sous-Christ »1 comme l’écrit Robert Amadou, alors que l’on connaît sa réserve habituelle, est un fait rarissime dans l’Histoire des systèmes de pensée (bien que le mécanisme, complexe, soit identifié pour tout porteur de charisme au point d’institutionnaliser une lignée croyante). Cette parenthèse étant faite non sans rapport…

Pourrait-on maintenant oser poser la question : en quoi le Sceau de Cagliostro participerait-il à l’avènement de ce que d’aucuns redoutent tant, ou, que d’autres espèrent comme le Messie d’une nouvelle spiritualité, en une forme régénérée ?

Ceux qui sont glorifiés au Champs des Roseaux peuvent être honnis par d’autres. Mais, ils sont reconnus. Et cette « résurrection magique » serait induite, voire conduite, par le S.T. du Sceau de Cagliostro : Celui-ci deviendrait alors opératif. L’Adepte serait aux Fondeurs d’airain, ce qu’Elias Athirsata est au passé, au pré- sent et à l’avenir du Monde ? Le 18e degré du REAA, Chevalier Rose+Croix, ne reconnaît-il pas le processus d’alchimisation interne par l’appartenance à une « sainte » famille ? Dès lors Elias Athirsata serait-il plus encore que l’envers ésotérique du Très Sage en adoubant l’Esprit de Chevalerie au cœur des sciences secrètes ? Est-ce à dire que même la Maçonnerie écossaise entendait ne pas renier un tel héritage et, plus encore, veillait à le retransmettre ? (Et l’on comprendrait mieux cette heureuse intrusion au sein du Rite de Memphis-Misraïm…) Ce même REAA qui a introduit le 25e degré du Chevalier du Serpent d’Airain et dont le Maître de cérémonies, dans la conduite d’une montagne escarpée, se nomme « Le Voyageur » ? Faut-il alors rappeler la propre formulation de Cagliostro : « Me voici : Je suis noble et voyageur ». Toute ressemblance avec un personnages connu ou inconnu ne saurait être fortuite et même, ne doit-elle pas être reconnue ? Osiris avait un frère… Seth. Seth, jumeau mystique d’Horus ou son parèdre en d’autres termes ? Horus, le mage combattant, aux pouvoirs innombrables, qui entre autre fait dévier les flèches… À l’issu des combats qui les opposèrent, Isis exigea qu’il fut épargné afin de sauvegarder l’équilibre du monde : « Le doigt de Seth est le verrou du Naos. » Aux yeux des Egyptiens, le neter s’accomplit par l’homme et à travers lui. Seth est déconcertant. Il est l’incarnation du négatif, du trouble et du désordre. Ce dieu déchaîné et colérique recèle le pouvoir, à lui seul, d’enrayer l’Ordre des choses. Horus n’a pu le vaincre qu’en retournant contre lui sa propre violence. Seth est aussi l’obstacle que doit surmonter Osiris pour renaî- tre. Seth donne la Lumière à Osiris (Lucifer) ; il le fait passer par l’épreuve du feu pour lui permettre d’extraire le meilleur de lui-même et de révéler sa véritable nature : l’immortalité.

Remise en ordre

Alors, après un tel désordre, l’heure n’est-elle pas venue de mettre un peu d’ordre ? Et ce ré-ordonnancement ne doit-il pas se comprendre comme un possible ? Cagliostro, vecteur d’antiques mystères, initiateur d’une authentique praxis au cœur de la jeune Maçonnerie d’alors, thaumaturge et sulfureux tout à la fois, parcourant le monde, adoubé à l’Ancien Régime et à ses lois, sans craindre de prédire un nouvel ordre - et d’y œuvrer peut-être -venant à Rome en supplicié comme Icelui rompit le pain et partagea le vin la veille encore… Voilà Moïse, voilà Seth, le serpent et la pomme, une règle de conduite, telle une flèche venant des cieux et sans laquelle la Connaissance resterait vaine… Ecce Homo ! Le Feu est invisible sur le Sceau mais il est Ego Sum qui Sum ! Pour ses enfants, il le contient et l’emporte, non dans la tombe, mais comme un flambeau qu’il passe… Et d’aucuns le savent et préparent tel avènement… Et ceux-là osent le dire à ceux qui ont des yeux, des oreilles et une âme ! Comprenne qui pourra, mais faut-il se faire violence dans un tel élan de la Conscience ? Puis-je alors oser déceler le Sceau du Secret ... ?

Cagliostro

« Ces Rites égyptiens que je vous lègue contiennent l’énergie de Typhon-Seth. Il sera le plus puissant entre les Puissances pour toutes vos œuvres. Mais qu’elles soient belles, comme ma Mère, qu’elles soient immortelles comme mon Père et que la Lumière de votre âme révèle la Magie du monde… »

 Ainsi parlait Cagliostro…?

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1 - Article de ROBERT AMADOU sur Cagliostro in Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie, sous la direction de DANIEL LIGOU, Ed. de Navarre et du Prisme.


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