Main photo L'envol des cigognes (1/2)

L'envol des cigognes (1/2)

  • Par Chizuko
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Ce jour-là, Jisai et Midori étaient aux anges, les kamis avaient répondu à leur appel et accédé à leur demande en permettant à leur deuxième enfant de venir au monde sans encombre. Ils avaient même célébré son arrivée en faisant s’envoler tout un vol de cigognes, inspirant à ses parents son nom : Chizuko.

Chizuko était une enfant effacée qui jouait souvent seule avec ses poupées, pourtant elle ne semblait pas malheureuse. À trois ans, son grand-père, Joichiro, lui donna son ryûteki, une flûte transversale sur laquelle la fillette lorgnait chaque fois qu’elle passait le voir chez lui et dont il jouait lorsqu’il pratiquait le gagaku, cette forme de musique traditionnelle que l’on jouait à la cour des nobles. Il lui apprit également à en jouer pour sa plus grande joie. Malgré cela elle ne semblait pas trouver sa place au sein de sa communauté. Sa grande sœur Suzue, de trois ans son aînée, essayait régulièrement d’intéresser sa cadette au monde extérieur.

« Pourquoi tu ne vas pas jouer avec les autres enfants de ton âge ? lui demandait-elle souvent. Ils vont finir par croire que tu es un fantôme.

- Je ne suis pas un fantôme, répondait la fillette d’un air des plus sérieux, mais ils sont plus intéressants qu’eux. »

Ces échanges laissaient souvent Suzue perplexe qui ne comprenait pas ce que voulait dire sa petite sœur. Elle et ses parents n’en comprirent le sens que lors de la fête du Shichi Go San, l’année des sept ans de Chizuko. Ses parents lui avaient fait faire un beau kimono couleur prune pour fêter ce jour et, comme le veut la tradition, lui offrirent son premier obi. Chizuko regardait la ceinture avec curiosité alors que Midori, sa maman, la lui passait autour de la taille.

« Les kamis ont veillé sur toi jusqu’à ce jour, nous devons aller les remercier et leur rendre hommage. »

La fillette hochait la tête, le regard brillant. Aujourd’hui n’était pas un jour comme les autres car l’on fêtait les enfants qui avaient survécu jusqu’aux âges charnières : 3 ans (go) et 7 ans (shichi) pour les filles, 5 ans (san) pour les garçons. Ce jour-là il y avait du monde au temple, les enfants étaient tous aussi bien vêtus que Chizuko ; même Suzue, bien qu’âgée de dix ans, portait fièrement son beau kimono tout neuf et cherchait désormais à affiner sa démarche, son wagasa, une ombrelle faite de papier de riz, sur l’épaule. Était-ce dû à l’animation de ce jour ? Toujours est-il que Chizuko, si passive d’ordinaire sauf lorsqu’elle jouait de sa flûte, était elle aussi impatiente et se trémoussait en silence tandis qu’ils piétinaient devant l’arche Torii. C’est là qu’elle la vit. Une prêtresse vêtue d’un hakama rouge et d’une veste de kimono blanche bordée de rouge. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle voyait une miko mais cette fois-là, la fillette en resta bouche bée.

« Tout va bien ? lui demanda alors son père en la voyant comme statufiée.

- Otosan, répondit Chizuko, je veux devenir comme elle. »

Son père, interloqué, releva les yeux vers la miko et comprit enfin. Sa fille, qui pourtant s’isolait, n’était en réalité jamais seule. Les esprits n’avaient cessé de l’accompagner depuis sa naissance. Il comprit également que les jeux solitaires de Chizuko ne l’étaient finalement pas tant que cela et il en fut heureux.

« Nous remercierons doublement les kamis pour t’avoir montré la voie, Chizuko.

- Oui, Otosan ! »


Peut-être pour la première fois, l’enfant eu un vrai grand sourire, comme ceux que tous les enfants arboraient si souvent lorsqu’ils étaient heureux. Chizuko venait de trouver sa voie.



Posté dans Récit
Chizuko
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La lumière pense voyager plus vite que quoi que ce soit d'autre, mais c'est faux. Peu importe à quelle vitesse voyage la lumière, l'obscurité arrive toujours la première, et elle l'attend. - Terry Pratchett -

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