Main photo L'envol des cigognes (2/2)

L'envol des cigognes (2/2)

  • Par Chizuko
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Cinq ans s’étaient écoulés depuis ce jour de novembre. À douze ans et demi, Chizuko n’avait pas beaucoup plus d’amis qu’avant, encore moins de petit-ami -pour quoi faire d’ailleurs ? Les garçons étaient des idiots qui ne pensaient qu’à regarder les filles se baigner aux onsen. Même son de cloche parmi les autres aspirantes au titre de miko : Oharu était trop frivole, Sakamae était plus intéressée par le fait de résider au temple et Asako mentait lorsqu’elle prétendait ressentir la présence des kamis. Seule Hisae trouvait grâce à ses yeux. La jeune fille avait un an de plus que Chizuko et s’impliquait réellement dans son futur rôle. Les esprits l’aimaient d’ailleurs beaucoup, au moins autant si ce n’est plus que Chizuko. C’étaient d’ailleurs avec elle que, le plus souvent, la jeune fille se proposait pour entretenir le temple. On pouvait régulièrement les voir balayer la cour, nettoyer les statues, astiquer les parquets et les boiseries. Malgré l’attitude renfermée de la Petite Cigogne -comme la surnommait ses parents-, Hisae parvint à se rapprocher peu à peu de sa cadette et à l’apprivoiser. Elles se trouvèrent un point commun qui facilita leur rapprochement : la musique. Hisae possédait un shamisen et il arrivait aux deux adolescentes de se retrouver pour jouer ensemble. Cependant, on ne pouvait pas faire plus opposé que les deux amies, l’aînée rayonnante et chaleureuse comme le soleil, la cadette froide et distante comme la lune.

Les cours étaient dispensés par le prêtre Hisamitsu ainsi que par la miko en chef du temple, Tamamo. Si lui était patient et souriant, elle était stricte et sévère, d’autant plus qu’elle souhaitait tirer vers le haut les deux amies, les seules qu’elle considérait à la hauteur de cette tâche. Au bout de six mois, Sakamae fut renvoyée. Son attitude désinvolte lui ferma les portes du temple malgré ses protestations. Elle fut rapidement suivie par Asako lorsque, terrifiée, celle-ci s’enfuit alors que Chizuko lui montrait la réalité des kamis. Seule Oharu restait et persistait car, si elle voyait effectivement les esprits, elle ne cherchait guère leur compagnie, encore moins à les honorer comme il se devait. Cependant son père était le gouverneur du village et il avait imposé sa fille, ce qui déplaisait prodigieusement à Tamamo qui ne dissimula jamais ce qu’elle pensait vraiment de cette ingérence.

Dans le cadre de son apprentissage, Chizuko se rendit rapidement compte que dans les temps anciens, et malgré l’aide qu’une miko apportait au temple, celle-ci n’avait réellement besoin que d’apprendre les prières et les danses rituelles afin d’assister le prêtre qui était le véritable officiant. Le reste du temps elle devait entretenir le temple et fabriquer les amulettes. Depuis le Tenbatsu, le rôle des miko n’a pas beaucoup évolué sur ce plan. Toutefois elles ont dû s’adapter à ce nouvel univers, en apprenant à se battre notamment. Chizuko apprit ainsi le noble art du Kyudo ainsi que celui du kenjutsu, lequel ne trouvait guère grâce à ses yeux :se rapprocher ainsi de son adversaire était, de son point de vue, inutile et dangereux, elle considérait que c’était aux samurai de combattre de cette façon qu’elle trouvait vulgaire. En privilégiant le kyudo, La jeune apprentie fit rapidement mouche à trente mètres, recevant les félicitations de Tamamo et de Hisae, plus en difficulté dans cet exercice. Les miko devant accompagner les prêtres dans les rituels sans pouvoir officier elles-mêmes, l’apprentissage de la religion n’était pas obligatoire, ce qui arrangeait bien les affaires de Chizuko : ce n’était pas la religion qui lui avait apprit à communier avec les kamis et ce n’était pas elle non plus qui lui permettrait d’améliorer cette si étroite relation qu’elle avait nouée avec eux depuis son plus jeune âge. Elle ne voulait toutefois pas passer pour une ignorante en la matière et en acquit les rudiments. Somme toute, juste ce qu’il était nécessaire de connaitre en tant que miko. C’est dans le domaine des arts et notamment de la danse et de la musique que s’épanouissait l’adolescente et plus sûrement lorsqu’elle jouait de son ryûteki. Hisae n’était pas en reste et était même encore plus douée que son amie, ce qui développa l’esprit de compétition des jeunes filles sous le regard satisfait de Tamamo. Elle apprit également à lire et à écrire afin de gagner en autonomie, ce même si ce savoir était loin d’être aussi répandue qu’avant.

Puis vint l’apprentissage de la magie.

C’était sans doute là le plus éprouvant car il ne s’agissait plus de communier avec les kamis mais aussi de leur demander d’interagir en faveur des humains au travers des prières des miko. Contre toute attente, c’était Oharu qui était la meilleure dans ce domaine, pour une raison très simple : elle ne voyait aucun mal à exploiter les esprits, à les plier à sa volonté. Plutôt que de s’en faire des alliés, elle les traitait en outil. Cela aurait pu durer longtemps mais un accident terrible la priva de la vue, alors qu’elle contraignait les kamis à lui permettre de voir au loin, bien au-delà de ce qu’elle-même pouvait endurer et dans le seul but d’espionner son propre père. Désormais aveugle elle ne pouvait plus espérer devenir miko. Pire, elle avait également perdu l’estime de sa famille, de son père. On la retrouva, le jour de ses quatorze ans, baignant dans une mare de sang après s’être tranchée la gorge avec son tantô. Déshonorée, elle avait choisi de faire jigai. Chizuko ne pleura pas Oharu contrairement à Hisae ; pour elle, ce n’était qu’une idiote qui avait achevé de détruire le peu d’honneur qui lui restait en se suicidant en secret. Elle découvrit plus tard et sans surprise que le père de la jeune disparue n’en pensait pas moins.

Même si l’approche de Oharu n’était définitivement pas la bonne, elle avait malgré tout su plus vite que les deux amies tirer parti des esprits. Chizuko, de son côté, dû se laisser convaincre par Tamamo que demander leur aide n’était pas les utiliser. Les kamis détestaient qu’on leur force la main, c’était pour cela qu’on les priait et qu’on les remerciait en leur offrant des présents ou en faisant brûler de l’encens. Tant qu’elle se souviendrait de cette différence cruciale entre les bons usages et ce qui avait coûté la vue puis la vie à Oharu, elle ne risquerait rien. D’ailleurs, pour la miko en chef, La conclusion de la mésaventure de la fille du gouverneur était une bonne chose : si elle était parvenue à dicter ses désirs aux kami sans en subir de conséquence, qui sait ce qu’elle serait devenue ? C’est finalement lorsqu’elle vint à bout de ses propres réticences que son don évolua vraiment, tout comme sa relation privilégiée avec les kamis. C’était dans ces instants qu’elle se sentait vraiment vivante, un sentiment puissant qu’elle avait l’impression de n’avoir effleuré qu’en surface lorsqu’elle jouait de la flûte. Elle se sentait véritablement épanouie.

Les années d’apprentissage défilèrent à toute allure. Chizuko et hisae furent confirmées miko à leur plus grande joie ainsi qu’à celle de leur famille qui s’était rapprochée en même temps que les jeunes filles. Ce fut donc un soir de liesse qui clôtura ce qui ne devait être que le début de l’aventure de Chizuko.

Demain, elle rejoindrait son temple pour y servir les kamis.

Demain, elle aurait dix-sept ans.


Posté dans Récit
Chizuko
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La lumière pense voyager plus vite que quoi que ce soit d'autre, mais c'est faux. Peu importe à quelle vitesse voyage la lumière, l'obscurité arrive toujours la première, et elle l'attend. - Terry Pratchett -

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