Le Nu dans l'Art
- Par Nadja 23
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Nu académique ou nu érotique ?
Dérivé d'Eros, Dieu de l'Amour, l'érotisme peut se définir comme l'art de susciter le désir.
Le nu académique, qu'il soit d'inspiration mythologique ou orientaliste, correspond bien à cette définition.
De nombreuses peintures au XIXème siècle, en particulier celles figurant le corps nu de la femme, reposent sur ce principe d'éveil des sens. Le pouvoir évocateur d'un joli corps sous un voile transparent est un artifice largement utilisé. La pose, la situation du modèle et l'accessoire lui-même permettent d'identifier la divinité, de situer l'action.
Bien entendu, cette représentation du corps féminin ne coïncide pas forcément avec la femme réelle ; idéalisée elle devient autant d'allégories sous forme de déesses, de nymphes et d'ondines. L'idéalisation de la femme par les néo-classiques, par exemple, en fait surtout un faire-valoir du héros, figure centrale et souvent acteur principal des tableaux ; Pénélope se cantonne à attendre au foyer et la Belle Hélène prépare le "repos du guerrier".
Dans la peinture académique, pompier, la fantaisie est tout autant présente et revêt parfois des aspects inattendus. Chez Bouguereau ne trouve-t-on pas un satyre velu et inquiet, aux pieds de bouc et aux oreilles taillées en pointe, poussé par de gracieuses nymphes, plus joyeuses qu'effarouchées, semblant vouloir l'entraîner vers l'étang dans lequel elles souhaitent visiblement se baigner et batifoler.
Les dames habillées de la tête aux pieds de la cour du Second Empire et de la Troisième République n'étaient pas toujours aussi intouchables que ces nymphes de peintures, ni leurs époux aussi coureurs de jupons et grivois que les satyres, mais ils aimaient tout de même à s'imaginer dans ces fables mythologiques. Surtout les messieurs, qui appréciaient ces images de la nudité, considérées comme moralement acceptables, puisqu'elles étaient traitées selon des formes artistiques admises, qui les écartaient d'une certaine réalité.
Ensuite et par à-coups, l'image de la femme représentera moins une idée allégorique et davantage une femme réelle, sa personnalité propre prendra de l'essor et gagnera en naturel, notamment avec les impressionnistes Renoir et Degas. Néanmoins les retours sur la mythologie classique resteront encore les passages recommandés, jusqu'au milieu du siècle suivant, des étudiants aux Beaux-Arts préparant leurs "humanités".
En traitant de la nudité féminine, l'Art Baroque déjà, mais surtout l'Art Pompier ou Académique fédérait finalement : technique, poésie et exotisme, beauté et plaisir et sens du tableau.
Les Orientalistes et le mythe du harem.
Tout au long du XIXème siècle, sans doute le grand siècle du nu, l'artiste occidental a joué de multiples façons avec l'image du corps féminin, mais c'est en particulier avec l'évocation sublimée de la femme du harem, l'Odalisque, qu'il a véritablement exprimé tout son imaginaire. Et peu importe finalement la réalité, du moment que l'Orient permette de rêver et de représenter des scènes aux mystères interdits.(3)
De nombreux peintres et écrivains européens de cette époque ont ainsi aimé véhiculer leur vision du harem et du hammam , mais ils en ont donné, parfois involontairement, une image assez éloignée de la réalité.
En effet, loin d’avoir été une prison pour femmes lascives, affirment plusieurs auteurs turcs et arabes, le harem doit plutôt être compris comme une institution éducative.
Dans l’Empire ottoman, le terme de harem s’appliquait avant tout à la famille du souverain. Le code de conduite imposé à l’intérieur du harem était tellement strict que même le souverain ne pouvait y agir à sa guise. Des règles très précises régissaient le fonctionnement de cette institution, le recrutement des courtisanes et leur éducation. Chaque femme recevait un enseignement dans la discipline pour laquelle elle manifestait le plus de talent : calligraphie, arts décoratifs, musique, langues étrangères, etc. Et il n’y avait aucune limite d’âge. Les femmes de 60 ans pouvaient y résider aussi bien que des jeunes filles. Et, contrairement aux préjugés, ces courtisanes n’étaient nullement écartées de la vie sociale et politique. Les plus intelligentes sont même parvenues à diriger l’Etat en se hissant au rang de reine-mère. Des personnages célèbres, comme la sultane Roxelane (1505-1558, épouse préférée de Soliman le Magnifique), ont ainsi fait leur apprentissage au sein du harem.(4)
Contrairement aux orientalistes qui représentent le harem, à la façon des bains, c'est-à-dire comme un lieu plein de corps nus, les historiens turcs le décrivent plutôt comme une école de femmes. “Le plus important, explique l’historien Ilbay Ortayli, c’était de donner aux femmes une éducation de qualité et de s’assurer qu’elles pussent conclure un bon mariage, notamment avec des hauts fonctionnaires.”
Seuls les gens très riches pouvaient se permettre d’entretenir un harem, qui fonctionnait d’ailleurs comme une entreprise familiale. Des jeunes filles y tissaient des tapis ou filaient des tissus contre rémunérations.
Les peintres orientalistes ont dépeint ce qu’ils imaginaient être des harems et les historiens turcs les critiquent pour avoir fait ces descriptions sans même, pour la plupart d’entre eux, ne jamais avoir mis les pieds en Orient. Quant à ceux qui y sont allés, ils n’ont évidemment jamais pu pénétrer dans un harem ou dans un bain turc réservé aux seules femmes et ils se sont donc contentés d’illustrer leurs propres mythes. Delacroix, Ingres, Gérôme ou Picasso ont peint des femmes qui n’étaient que le fruit de leurs fantasmes, explique Fatima Mernissi, une essayiste marocaine qui a publié un livre sur ce thème, Le Harem et l’Occident (Albin Michel, 2001). Dans leurs tableaux, la femme est toujours représentée comme une créature sensuelle et docile, aux lignes avantageuses et qui n’a d'autre soucis que de plaire.
Fatima Mernissi rappelle que l’expression la plus frappante de cette conception occidentale de la femme se trouve chez le philosophe des Lumières Emmanuel Kant. Celui-ci décrit la féminité comme le synonyme de la beauté, alors qu’il relie l’homme à la notion de sublime. La femme qui sait trop perd de son attrait et, quand elle expose ses connaissances, elle détruit toute sa féminité. Conclusion : elle ne doit pas s’occuper de mathématiques, d’histoire ou de géographie ; elle doit juste avoir assez de connaissances pour pouvoir participer à une conversation et lorsqu'elle affiche un air candide, elle paraît encore plus belle.
Au contraire des tableaux orientalistes occidentaux mettant en scène des femmes aux poses lascives, proches de l'érotisme, et qui se concentrent essentiellement sur son corps, ses habits, ses danses, les miniatures orientales sur le sujet montrent les femmes dans des scènes de chasse ou dans les diverses activités de leur vie quotidienne.
Cependant et quelqu'en soit la version, occidentale ou orientale, il n'en demeure pas moins vrai que la finalité de l'image du harem à donner est bien différente selon le cas, mais tout aussi acceptable : d'un côté le rêve, le fantasme, le prétexte aussi à la représentation de nus ; de l'autre, une réalité plus prosaïque et moins chargée de poésie, mais plus proche de la vérité