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Maîtriser le chardon des champs dans le blé

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Stratégies culturales et phytosanitaires sur 10 ans (2015-2025)

Le chardon des champs (Cirsium arvense), adventice vivace à rhizomes profonds, est une problématique majeure dans les cultures de blé, en raison de sa persistance, de sa compétitivité et de son impact sur la qualité de la récolte. Les échanges techniques entre agriculteurs de 2015 à 2025 révèlent une lutte complexe, qualifiée de « guerre d’usure », nécessitant des approches intégrées sur plusieurs années. Cet article propose un guide détaillé pour gérer efficacement le chardon dans le blé, en s’appuyant sur les enseignements tirés de ces 10 années, combinant herbicides, rotations, pratiques culturales et gestion des contraintes réglementaires.

1. Caractéristiques et enjeux du chardon des champs

  • Biologie : Le chardon des champs est une dicotylédone vivace, nitrophile, prospérant dans des sols riches en azote. Ses rhizomes, pouvant atteindre 6 m de profondeur, lui confèrent une capacité de régénération exceptionnelle, avec des rejets même après des traitements herbicides. La plante se propage par graines (dissémination anemochore) et par fragmentation des rhizomes lors des travaux du sol.
  • Impact : Les chardons concurrencent le blé pour l’eau, les nutriments et la lumière, compliquent la moisson (graines dans la récolte, bourrages), et augmentent les coûts de gestion. Les infestations sont souvent héritées de parcelles mal entretenues (« marées non gérées depuis 10 ans ») ou amplifiées par des remembrements et des bordures négligées (routes communales).
  • Contexte 2015-2025 : La généralisation des couverts obligatoires (semis avant fin août) a réduit les fenêtres d’intervention en interculture, tandis que les contrôles sur les résidus phytosanitaires (ex. : glyphosate avant moisson) et la fin programmée des sulfonylurées (ex. : Allié) compliquent la lutte.

2. Stratégies phytosanitaires dans le blé

La gestion des chardons dans le blé repose principalement sur des herbicides appliqués à des stades précis, en tenant compte des contraintes réglementaires (stades BBCH) et des conditions climatiques.

2.1. Hormones

Les herbicides hormonaux ciblent la partie aérienne, limitant la floraison et la production de graines, mais n’atteignent généralement pas les rhizomes.

  • Chardex (clopyralide 60 g/L + MCPA 400 g/L) :
    • Efficacité : Très performant pour réduire la biomasse aérienne et empêcher la montée à graine. Appliqué à 1.5 L/ha après la défloraison du blé (BBCH 69, fin floraison, juin), ou au stade bouton floral des chardons (10-15 juin), il offre un contrôle visuel optimal pour la moisson.
    • Conditions : Nécessite des températures >15°C, une hygrométrie modérée (60-90 %) et l’absence de rosée pour une absorption optimale. Une application sur chardons au stade bouton floral maximise la translocation partielle vers les racines.
    • Réglementation : Homologué pour BBCH 32-39 (2 nœuds à épiaison), une extension à BBCH 69 a été évoquée en 2015-2016 (réunions techniques), mais reste non confirmée sur e-phy en 2025, limitant son usage légal tardif.
    • Limites : Ne détruit pas les rhizomes, nécessitant des traitements annuels. Une baisse d’efficacité a été notée après l’arrêt de son usage systématique (ex. : explosion des populations post-2018).
  • 2.4D et MCPA (ex. : Effigo, U46) :
    • Efficacité : Action rapide sur la partie foliaire, idéal pour éviter la formation de graines avant moisson. Doses de 0.6-1 L/ha, souvent en mélange (ex. : MCPA + 2.4D). Appliqué après défloraison ou en rattrapage précoce (avant 2 nœuds, avril).
    • Conditions : Efficace par temps chaud, mais moins performant en printemps froids (2015-2020). Une application sur rosée réduit l’absorption.
    • Limites : Action superficielle, sans impact sur les rhizomes. Une application précoce (avril) respecte le DAR (2 mois), mais est moins efficace sur les chardons développés.
  • Lontrel (clopyralide 100 g/L) :
    • Efficacité : Plus systémique que le 2.4D, efficace sur chardons jeunes à 0.3-0.5 L/ha, mais rarement utilisé dans le blé en raison de son coût (2-3 fois supérieur au 2.4D).
    • Usage : Préféré dans les betteraves ou colza (automne), avec un effet résiduel réduisant les repousses dans le blé suivant.

2.2. Sulfonylurées

  • Allié (metsulfuron-méthyl 600 g/kg) :
    • Efficacité : Doses de 10-20 g/ha, souvent appliqué avec un fongicide T2 (avant DFP, mai). Ralentit les chardons, mais ils repartent souvent (« reste vert en dessous »). Une dose exceptionnelle de 200 g/9 ha en 2009 a éradiqué une parcelle, mais ce cas est isolé et non reproductible réglementairement.
    • Conditions : Efficace à 12-15 g/ha en semis direct (SBV) ou 15-20 g/ha en conventionnel, ajustable en cabine sur les ronds visibles. Moins performant par basses températures (<10°C).
    • Limites : Action foliaire, sans effet systémique sur les rhizomes. À forte dose (>20 g/ha), risque d’effet anti-graminées, nuisible au blé. La fin des sulfonylurées à l’horizon 2025-2030 pourrait restreindre son usage.

2.3. Autres produits

  • Ariane/Boston (formulations sel) : Moins efficaces que les anciennes formulations esters, selon des observations de 2025.
  • Kino, Elden : Inefficaces sur chardons développés, souvent « riants » face à ces traitements précoces.

3. Gestion en interculture

Le glyphosate est la pierre angulaire de la lutte contre les rhizomes, mais son efficacité dépend du stade d’application et des pratiques culturales.

3.1. Glyphosate

  • Efficacité : Seule matière active capable de détruire les rhizomes, à condition d’être appliquée au stade bouton floral (fin août-mi-septembre), en sève descendante. Des essais (Chambre d’Agriculture 22) confirment que hors stade, le glyphosate favorise les rejets.
  • Doses et mélanges :
    • Standard : 5-7 L/ha (360 g/L, banalisé), avec huile (1 L/ha), SAM, Epso, ou acide, appliqué fin août à mi-septembre. Une dose de 2-3 L/ha suffit pour les chardons jeunes, mais échoue sur les ronds anciens (« datant du grand-père »).
    • Stratégie optimisée (2020) : 5 L/ha de glyphosate + huile/SAM, suivi 2-7 jours plus tard de 2.4D ou U46 pleine dose (0.6-1 L/ha), atteignant 95 % de succès. Le délai permet au glyphosate de migrer vers les rhizomes avant que le 2.4D ne brûle la partie aérienne.
  • Conditions : Hygrométrie élevée (80-90 %, tôt le matin), absence de vent, et patience (15-30 jours pour un jaunissement complet). Un déchaumage précoce (<10 jours) annule l’effet systémique.
  • Limites : Les couverts obligatoires (semis avant fin août) réduisent les fenêtres d’application. Une application 8 jours avant moisson est risquée (résidus détectables) et peu efficace (chardons en graines).

3.2. Pratiques associées

  • Faux semis : Stimuler la repousse des chardons en août (léger déchaumage), appliquer 5-6 L/ha de glyphosate début septembre, puis semer un couvert tardif (avoine, seigle) fin septembre. Nécessite une dérogation administrative.
  • Déchaumage sélectif : Contourner les ronds de chardons post-moisson pour favoriser leur repousse, puis traiter au glyphosate. Évite la fragmentation des rhizomes.
  • Glyphosate avant moisson : Une application à 3-5 L/ha 8-10 jours avant récolte réduit la biomasse, mais ne détruit pas les rhizomes et risque des pénalités (contrôles résidus).

4. Gestion dans les rotations

Les rotations diversifiées permettent de multiplier les opportunités de lutte, en ciblant les chardons à différents stades.

  • Betteraves : Lontrel (0.3-0.5 L/ha, octobre) est très efficace sur chardons jeunes, réduisant les repousses dans le blé suivant. Pas de rémanence pour les cultures ultérieures.
  • Colza : Glyphosate (3-5 L/ha) après récolte (fin août) ou Lontrel à l’automne. Une parcelle bien gérée post-colza limite les chardons dans le blé.
  • Pois/Féveroles : Tropotone (clopyralide) cible les chardons, mais ces cultures sont des hôtes à risque. Une rotation blé-pois-colza, avec Lontrel ou glyphosate à chaque étape, améliore le contrôle.
  • Escourgeon : Moins infesté par les chardons, mais les traitements sont limités (hormones précoces inefficaces).

5. Gestion des bordures

Les bordures (routes, fossés) sont des réservoirs de chardons, compliquant la lutte dans les parcelles. Les stratégies incluent :

  • Herbicides sélectifs : Garlon Star (aminopyralide 30 g/L + triclopyr 240 g/L, 1 L/ha) + Allié (40 g/300 L eau), appliqué au quad, efficace sur chardons anciens sur 2 ans consécutifs. Bofix + Allié préserve les graminées, adapté avant un blé.
  • Mécanique : Épareuse pour limiter la montée à graine, mais ne détruit pas les rhizomes.
  • Précautions : Éviter le glyphosate pur en bordure (favorise d’autres adventices). Vérifier la rémanence du Garlon avant semis de blé (non documentée à 1 mois).

6. Approches mécaniques et culturales

  • Décompactage : Réduit la densité des ronds anciens, mais ne remplace pas les herbicides.
  • Labour : Avant une culture intermédiaire (ex. : ray-grass), limite la montée à graine, mais fragmente les rhizomes, aggravant l’infestation si non suivi de glyphosate.
  • Couverts : Les couverts de graminées (avoine, seigle) permettent un désherbage sélectif des vivaces, mais leur semis précoce (fin août) contraint les applications de glyphosate.

7. Contraintes réglementaires et économiques

  • Réglementation :
    • Couverts : Obligation de semis avant fin août (depuis 2015) limite les traitements en septembre. Des dérogations sont possibles pour vivaces résistantes (ex. : chardons, graminées), mais complexes administrativement.
    • DAR : Hormones comme le 2.4D nécessitent 2 mois avant moisson, restreignant les applications tardives (post-floraison).
    • Résidus : Les contrôles sur les résidus de glyphosate (ex. : 2015-2020) dissuadent les applications pré-moisson.
  • Coûts : Les traitements répétés (glyphosate à 7 L/ha, 3.5 €/L ; Chardex à 1.5 L/ha ; Allié à 15-20 g/ha) augmentent les charges (estimées à 50-100 €/ha/an sur 5 ans). Une stratégie sur 3-5 ans est nécessaire pour un contrôle durable, rendant le coût global élevé sans éradication garantie.
  • Perspectives : La fin des sulfonylurées (ex. : Allié) et les restrictions sur le glyphosate pourraient compliquer la lutte d’ici 2030, nécessitant des alternatives (ex. : aminotriazole, débroussaillants).

8. Résultats et recommandations

  • Succès notables :
    • 2009 : 200 g d’Allié/9 ha a éradiqué une parcelle, mais non reproductible (dose excessive, non homologuée).
    • 2020 : 5 L/ha de glyphosate + huile/SAM, suivi de 2.4D (2-7 jours), a atteint 95 % de succès sur des parcelles infestées.
    • 2018-2020 : Garlon + Allié sur bordures, sur 2 ans, a nettoyé des zones critiques.
  • Échecs : Mélanges glyphosate + hormone en un passage (ex. : 3 L/ha + U46), doses faibles (2-3 L/ha), ou déchaumage précoce post-glyphosate échouent sur les chardons anciens. Les hormones seules (2.4D, MCPA) limitent la floraison, mais les rhizomes repartent.
  • Recommandations pour une lutte intégrée (3-5 ans) :
    1. Dans le blé (avril-juin) :
      • Appliquer Chardex (1.5 L/ha) après défloraison (BBCH 69) ou au stade bouton floral des chardons, pour limiter la biomasse et la production de graines.
      • En complément, utiliser Allié (15-20 g/ha) avec T2 (avant DFP) pour ralentir les chardons jeunes, en ajustant la dose sur les ronds visibles.
    2. En interculture (fin août-mi-septembre) :
      • Effectuer un faux semis (léger déchaumage début août) pour stimuler la repousse.
      • Appliquer 5-6 L/ha de glyphosate (360 g/L) + huile/SAM au stade bouton floral, suivi 2-7 jours plus tard de 2.4D (0.6-1 L/ha). Laisser 15-30 jours avant déchaumage.
      • Semer un couvert tardif (avoine, seigle) fin septembre, avec dérogation si nécessaire.
    3. Dans les rotations :
      • Intégrer betteraves ou colza avec Lontrel (0.4 L/ha, automne) pour réduire les repousses.
      • Utiliser Tropotone dans les pois/féveroles pour diversifier les pressions.
    4. Bordures :
      • Traiter au Garlon + Allié (1 L + 40 g/300 L eau) sur 2 ans, ou utiliser une épareuse pour limiter la dispersion.
      • Préférer Bofix + Allié avant un blé pour préserver les graminées.
    5. Suivi : Cartographier les ronds de chardons (drones, observations) pour cibler les traitements et évaluer les progrès sur 3-5 ans.

9. Conclusion

La gestion du chardon des champs dans le blé exige une approche systématique et pluriannuelle, combinant des interventions ciblées dans la culture, en interculture, et dans les rotations. Les 10 années d’échanges (2015-2025) soulignent l’efficacité du glyphosate (5-7 L/ha, stade bouton floral) suivi de 2.4D, du Chardex post-floraison, et du Lontrel dans les cultures associées, tout en intégrant des pratiques culturales (faux semis, déchaumage sélectif). Les contraintes réglementaires (couverts, résidus) et économiques (coûts élevés) imposent une planification rigoureuse, tandis que l’évolution des homologations (fin des sulfonylurées) pourrait complexifier la lutte à l’avenir. En adoptant une stratégie intégrée sur 3-5 ans, les agriculteurs peuvent réduire significativement les infestations, transformant cette « guerre d’usure » en une victoire durable.


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