Main photo Vise le soleil - Maître Gims (CHAPITRE 14)

Vise le soleil - Maître Gims (CHAPITRE 14)

  • Par Mortuus
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  Dès novembre 2009, nous étions entrés en studio pour préparer notre premier album officiel. Notre professionnalisme allait grandissant. Contrairement à l’époque où nos invasions en masse rendaient chèvre le pauvre ingé son du quartier, nous avons perfectionné l’organisation. Personne au studio en spectateur : seuls seraient présents à l’enregistrement ceux qui avaient une raison d’être là. En plus de l’écriture des textes, nous avons rodé les rôles de chacun selon ses affinités – c’est l’avantage d’une grande équipe. La création musicale est tombée naturellement dans mon escarcelle ; Adama et Lefa, perfectionnistes, pouvaient passer des heures enfermés avec les techniciens du mixage ; Maska, Black M et Lefa étaient très à cheval sur la composition de l’album et débattaient à l’infini de l’ordre idéal de la tracklist. Il était loin, le temps des micro-chaussettes chez Macka d’aM !

  Comment se créent nos sons ? Fait plutôt rare dans le rap, ils naissent le plus souvent d’une mélodie. Que ce soit pour les textes ou la musique, l’inspiration est quelque chose qui nous tombe dessus. Selon mon expérience, se dire, à froid : « Allez, je vais essayer d’inventer un air, tac », donne des résultats moins puissants que lorsque le jaillissement est spontané.


  Le premier élément, c’est en général la musique d’instru, la ligne mélodique qui composera l’arrière-plan du morceau. J’imagine un violon, une guitare, un synthé dans ma tête. Ensuite, je pose une mélodie vocale dessus. Plus rarement, il arrive que la mélodie vocale naisse d’abord et que l’instru s’y adapte. Quand un air me vient, je le chante sur le dictaphone du téléphone. Ces fredonnements bruts, c’est ce que le jargon appelle le « yaourt » ou le « chewing-gum ». Je donne un titre à chaque yaourt, sans quoi je m’y perdrais rapidement. De cette accumulation un peu informe, on tire un album, en vérité ! D’ailleurs, j’ai égaré pas mal de téléphones pleins de ces mélodies inédites… Tous nos albums ont commencé leur vie ainsi : une suite de yaourts, sans paroles, sans direction, sans réelle structure.

  Pour matérialiser tout cela, j’appelle notre compositeur et beatmaker attitré. Ce fut longtemps le rôle de notre pote Wisla. Plus tard, il a voulu prendre un peu l’air et nous a présenté Renaud, avec qui je compose aujourd’hui la plupart de mes sons. Wisla et Renaud sont ingénieurs du son. Guitaristes, pianistes, ils jouent un peu de tout avec leurs machines. J’ai moi-même interprété çà et là de petits passages assez simples au piano, en cherchant les notes sur le clavier, en autodidacte. J’aurais bien aimé apprendre un instrument, le piano ou la guitare, mais je n’ai jamais vraiment eu l’occasion.

  Puis vient la phase de rédaction des textes. Nous ne travaillons pas tous selon la même méthode. Certains écrivent sans avoir de rythme en tête. Ensuite, ils rappent une ou deux lignes et cherchent, en fonction de ces lignes, à caler leur flow sur l’instru. Moi, c’est l’inverse. J’écris en fonction du flow. Quand j’entends le yaourt, je visualise déjà une structure : par exemple, je sais qu’il me faudra six syllabes, puis quatre, puis de nouveau six, avec la tonique là, là et là. Mon travail, comme pour la poésie classique, va consister à chercher les mots qui correspondent à ces syllabes.

  Avec la Sexion, nous organisons souvent des séances d’écriture commune. Nous choisissons un thème qui nous tient à cœur et qui nous paraît correspondre à la tonalité musicale du morceau. Chacun rédige son couplet dans son coin, puis nous lançons l’instru et nous rappons ces textes à peine sortis de l’œuf pour avoir l’avis du groupe : « Là, tu es sûr que ça fonctionne ? Moi, je dirais plutôt ça comme ci ou comme ça. »

  Après l’enregistrement au studio, qui ressemble, avec du bien meilleur matériel, à ceux que nous avions connus au quartier, vient le mix. C’est une partie essentielle, mais je n’y ai jamais rien compris. Les sessions sont longues, techniques. Ce n’est pas du tout mon truc. Je préfère venir après, quand les morceaux sont prêts. Comme je le disais, Adama, au contraire, adore assister au mix, souvent accompagné de Lefa. Il est toujours là pour vérifier que le résultat ressemble à ce que nous avons en tête.

  Enfin, une fois que tous les morceaux sont dans la boîte, décider de leur ordre dans l’album nécessite une réunion exprès. En général, Maska est le plus catégorique sur l’enchaînement des titres. Dans ces moments-là, il apporte énormément d’idées, très argumentées. Lefa et Black M ne sont pas en reste. Moi, je dois avouer que la question me préoccupe un peu moins.

  L’artiste Charly Bell, qui venait de rejoindre le Wati B, devait faire un duo avec moi sur notre album à venir. Dans cette optique, j’étais en train de travailler Qui t’a dit avec mon comparse Wisla. Je pose dessus, j’écris un peu de texte. En parallèle, sans idée préconçue, nous nous lançons sur une tout autre mélodie, très dépouillée, à laquelle nous ajoutons un simple beat. Le résultat nous prend au dépourvu : « C’est vide, c’est bizarre ! » Nous sommes sceptiques. Je prends néanmoins un micro et me mets à improviser directement :

« J’ai préféré partir et m’isoler… »

   Dans la même veine, un refrain voit le jour. Dans ma tête, il était évident que ce ne seraient pas les lyrics définitifs du morceau. Jamais de la vie, c’était trop léger ! Malgré nos hésitations, nous conservons ce premier enregistrement. J’appelle Charly Bell, qui était dans la pièce d’à côté, pour lui faire écouter les deux sons : « Tiens, essaye de me dire celui que tu préfères. Tu veux poser sur lequel des deux ? » Sans hésiter, elle choisit Qui t’a dit :

« Qui a dit que les blondes étaient toutes des connes, toutes des connes, toutes des connes ? »

   Le second ne lui plaît pas du tout.

  Malgré ce rejet catégorique, Wisla et moi avons continué à bloquer dessus : « C’est bizarre, j’ai vraiment l’impression qu’il y a quelque chose à tirer de ce son. » De mon côté, j’avais envie de le pousser dans un délire très mixtape, très rap, en ajoutant carrément des bruits de fusil. C’était le moment de sortir le joker, l’appel à un ami. J’ai demandé son avis à Black M, en lui faisant écouter notre mouton à cinq pattes tel quel, par téléphone. Il a déboulé immédiatement : « Des doutes ? Mais quels doutes ? T’es malade ! C’est de la dynamite, c’est de la folie ! » Dawala, Adama, tous étaient unanimes : « On ne peut pas passer à côté. » C’est là que Black M a eu l’idée du siècle : « En fait, ce qui serait bien, c’est qu’on pose tous dessus, mais en gardant ta mélodie à toi, la même exactement, et toi, tu fais aussi le refrain. Ça va tuer. Fais-moi confiance, ça va tuer ! Ce sera un ovni, ce morceau ! » Ainsi est né Désolé, sauvé de la poubelle grâce à Black M. Sans lui, cette petite impro étrange aurait fini dans les limbes d’une future mixtape – autant dire nulle part. Chez Sony, tout le monde fut d’accord pour en faire notre single bélier.

  Après tout ce travail, le 29 mars 2010, L’École des points vitaux était dans les bacs.

  L’École des points vitaux était un titre dont nous avions longtemps rêvé pour notre premier album. Mon amour des mangas est né avec le « Club Dorothée », avant d’approfondir vers des œuvres plus pointues. Même mes dessins s’inspiraient de cet univers, et je rêvais d’aller à Tokyo. À part Dragonball Z que tout le monde connaît, on ne peut pourtant pas dire que ce soit le cœur de la culture de la rue. À l’origine, j’étais le seul de la Sexion à me passionner pour la culture asiatique, mais à la longue, je la leur ai fait partager. Dans le « Club Dorothée », justement, il y avait un manga si violent que des associations de parents l’avaient fait censurer : Ken le Survivant. Le héros, Kenshirô, fait – littéralement – imploser ses opposants en combat singulier. Il n’utilise pas la force brute mais une sorte d’acupuncture martiale à coups de poing. « Tu es déjà mort, mais tu ne le sais pas encore », annonce-t-il quelques minutes avant de terrasser l’adversaire en touchant un par un, avec une précision chirurgicale, ses « points vitaux ». La symbolique de notre École des points vitaux, comme pour L’Écrasement de tête, était limpide : selon l’expression consacrée, nous allions « frapper là où ça fait mal », assassiner nos concurrents tant par la puissance de nos textes que par notre virtuosité technique.

  Pour autant, nous ne nous étions pas limités à des prouesses techniques comme dans L’Écrasement de tête. Nous avions approfondi les thèmes comme jamais auparavant. Nous avions des messages à transmettre qui allaient au-delà de l’esprit de compétition habituel : les dangers de la drogue (La drogue te donne des ailes), le gâchis d’une soirée qui dérape (Changement d’ambiance), le rapport aux biens matériels (Rien n’t’appartient), notre dégoût du politiquement correct (Ils appellent ça), la galère pour s’en sortir quand on vient d’un milieu défavorisé (Itinéraire d’un chômeur ou J’ai pas les loves), les pères qui abandonnent leur famille et les enfants qui oublient les leurs en maison de retraite (Tel père tel fils), etc. Casquette à l’envers, notre premier single, a profité a posteriori d’une petite phrase de Nadine Morano : « Je ne fais pas le procès du jeune musulman. Sa situation, moi, je la respecte. Ce que je veux, c’est qu’il se sente français lorsqu’il est français. Ce que je veux, c’est qu’il aime la France lorsqu’il vit dans ce pays, c’est qu’il trouve un travail, c’est qu’il ne parle pas le verlan, c’est qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers ! » Eh bien nous, si, et nous en étions fiers.

  « Planète Rap » est l’émission mythique de Skyrock. Pendant cinq jours d’affilée, de 20 heures à 21 heures, un même artiste passe à l’antenne, en direct. Sous la houlette de Fred, l’animateur historique, l’invité a carte blanche pour faire découvrir son univers : interviews, coulisses, freestyles, morceaux en live, etc. Pour la promo d’un album, il n’y a pas mieux, mais c’est un format qui demande une implication colossale. Forcément, on ne peut pas se permettre d’arriver les mains dans les poches pour une semaine de direct !

  Notre premier « Planète Rap » a eu lieu quelques jours avant la sortie de L’École des points vitaux. Je vous laisse imaginer notre émotion ! Je pense, sans mentir, que ça a été l’un des plus gros « Planète Rap » de l’histoire. Nous avons tout donné ! Nous étions tellement déterminés à prouver notre valeur que nous avons fait un freestyle pendant au moins deux jours d’affilée. Sans parler, sans interview, ça chantait ! Nous nous arrêtions pour la publicité. C’était énorme. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’album a fait un gros buzz. Sexion d’Assaut, c’était l’ovni.

  L’album a décollé immédiatement. En une semaine, nous étions à vingt mille ventes. Le 2 avril, le single Désolé nous a propulsés vers le disque d’or. Nos sons tournaient même dans les cours de récré des beaux quartiers ! Les parodies se sont multipliées, y compris aux « Guignols de l’info ». Nous n’en revenions pas.

  Nous avons découvert ce que signifie : « On ne prête qu’aux riches. » Alors que nous avions lorgné des vitrines inaccessibles toute notre jeunesse, les propositions de partenariat se sont mises à pleuvoir au moment où nous aurions enfin pu y entrer sans aide. Les marques de streetwear peu connues, qui voulaient monter, ont été les premières à s’intéresser à nous, mais comme nous représentions déjà Wati B, nous en avons refusé la plupart. Notre premier deal, ce fut Adidas. Avoir le droit de faire notre marché gratos à la boutique des Champs-Élysées ? Nous étions comme des gosses ! Pour les tournées, les boissons Tropico nous ont fourni des caisses entières de jus.

  La tournée, malgré l’éloignement et même si c’est épuisant au bout d’un moment, c’est sans conteste ce que je préfère dans la vie d’artiste. C’est là que l’ambiance est la plus dingue ! Pour L’École des points vitaux, nous avons fait connaissance avec la vraie tournée, la machine de guerre organisée par un tourneur (Yuma Productions, en l’occurrence). Leur travail commence très en amont. Même si nous n’étions pas encore à ce niveau de salles, un Zénith, par exemple, se bloque au moins sept mois à l’avance. De notre côté, la mission débute dès que les dates sont connues. La billetterie est lancée, et nous, pour que le public sache où nous voir, nous devons faire un maximum de boucan, à la radio, sur les réseaux sociaux, en interview, partout où on peut en parler, tout le temps.

  Le jour J, les cars, habillés Sexion d’Assaut, avec nos visages sur trois mètres de haut, nous attendent porte de Pantin (« P2P » pour les intimes). Il y a celui des artistes et celui de la technique. Quand les portes se referment, nous savons que nous sommes partis pour au moins dix jours avant la première escale parisienne. Là, à peine le temps d’embrasser la famille, de souffler un ou deux jours, et rebelote, de nouveau dix jours, quinze jours sur les routes.

  Rien ne vaut l’atmosphère du car de tournée. Les différents espaces permettent à chacun d’être plus ou moins studieux, de s’isoler ou de déconner en groupe, selon l’humeur du moment. Tandis que certains bossent sur des instrus pour de futurs morceaux, d’autres regardent des films sur la télé géante, jouent à la console ou vont se chercher un petit Coca. À l’étage du dessus, il y a une autre télé, une autre ambiance.


  Sur scène, nous avons appris à improviser pour masquer nos erreurs. Oublier des paroles, se perdre dans un couplet, ça nous est tous arrivé une fois ou l’autre. Pour moi, le pire ennemi, ce n’est pas le trac ou la fatigue, mais quand je me mets à penser à autre chose en même temps que je chante. Dans ces cas-là, c’est redoutable : passé sans m’en rendre compte en mode pilote automatique, je suis capable de me perdre au beau milieu de Désolé !

  Parfois, c’est le DJ qui se plante et n’envoie pas la bonne instru. Ou alors ça coupe en plein milieu. Ou il y a une boucle bizarre. Bref, elle est longue et créative, la liste des problèmes capables de nous mettre en galère sous le feu des projecteurs… Par définition, il y a toujours une grosse part d’imprévisible dans le live. Comme Madonna il y a peu de temps, j’ai déjà failli me casser la figure en plein concert. À force, nous nous sommes habitués. Nous savons rattraper.

  Mon pire souvenir de galère a eu lieu durant notre premier Zénith, à Paris, en clôture de la tournée de L’École des points vitaux. En plein cœur de notre lynchage médiatique (j’y reviendrai), la pression était à son comble, tout comme notre trac. Black M fait son entrée sur Casquette à l’envers, ça crie, le Zénith tremble, et là, sans prévenir, la nuit s’abat sur scène : coupure de courant. Coupure de courant en début de show ! Les projecteurs sont aveugles, les micros sont muets, et nous, nous paniquons franchement. Que se passe-t-il ? Le backstage est en ébullition, pendant que la technique court dans tous les sens pour comprendre l’origine de la panne. J’ai l’impression que je vais m’évanouir. Une balle dans la tête ! « Mais qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ? Il a fallu que ça tombe sur nous ! » Après un ou deux ratés, l’électricité finit par être rétablie. Pourtant, quand j’en parle aujourd’hui à des gens qui étaient dans la salle, personne ne s’en souvient. Comme quoi… Le concert était tellement dingue que la coupure de courant a disparu des mémoires.


  Double disque de platine en quelques semaines, L’École des points vitaux, tout comme nous, poursuivait son ascension vers le firmament. Nous étions devenus LE groupe de rap du moment. Même les States s’intéressaient à nous ! Changement d’ambiance fut ainsi choisi pour la B. O. française du blockbuster hollywoodien L’Agence tous risques. Puis, consécration suprême, on nous a appelés pour la première partie de Jay-Z à Bercy, le 6 juin. Un lever de rideau pour le roi du rap mondial, et à Bercy pour ne rien gâcher ? Enfin, nous tenions notre revanche sur le « Petit Bercy » !

  C’est ce que nous croyions… La vérité, c’est que le chemin était encore semé d’embûches. Le jour J, nous faisons donc notre entrée triomphale par la porte des artistes du Palais Omnisports – bienheureusement dépourvu de skatepark cette fois – pour nous heurter à un nouveau problème. Bercy, décidément, ne nous aime pas ! Les techniciens de Jay-Z refusent catégoriquement de nous laisser répéter. Nous usons de toute notre force de persuasion pour expliquer aux Américains que c’est notre première salle de cette ampleur, que nous ne pouvons pas improviser une telle acoustique, que notre public attend un concert de qualité… Rien n’y fait. Hors de question de toucher aux réglages du maître, nous répond-on, et tant pis pour nos balances. Nous sommes priés de retourner dans notre loge. Et avec le sourire.

  Nous sommes catastrophés. Que faire ? Est-ce une malédiction ? Après un conciliabule amer et désabusé, nous prenons la lourde décision d’annuler plutôt que de risquer de nous ridiculiser et de décevoir vingt mille personnes par un show pourri. Nous prévenons nos fans par Internet. Nous qui rêvions d’enflammer le Palais Omnisports, nous renonçons, la mort dans l’âme, à la fois à Jay-Z et à Bercy. Dès le lendemain, le Web s’est affolé. On nous a beaucoup reproché d’avoir pris la grosse tête. Alors que nous, nous étions en deçà du trente-sixième dessous.

  Heureusement, quelques semaines après, il y avait la première partie du légendaire duo NTM, au Parc des Princes. La rencontre s’était faite par les managers. Nous ne nous connaissions pas directement, mais nous étions la coqueluche du moment, eux, on ne les présentait même plus : ça collait bien. Tout ne s’est pas déroulé sans anicroche, cependant. Avant nous, ils avaient programmé des petits à eux, du 9-3, qui ont gratté beaucoup de temps sur la première partie. Plus ils s’éternisaient sur scène, plus notre prestation diminuait. À la fin de notre set, alors qu’il nous restait deux morceaux, dont Désolé, le clou du show, la technique nous a fait signe de nous arrêter : « On n’a plus de temps, il faut couper ! » Nous avons dû sacrifier un son. Dawala était fou de rage. Tout le backstage a fini en embrouille, ce que JoeyStarr a moyennement apprécié. Pour lui, nous avions manqué de respect à son équipe. Depuis ce jour-là, JoeyStarr ne nous a plus lâchés, et s’est mis à nous insulter un peu partout. Là aussi, pourtant, le concert était si réussi que personne ne s’est rendu compte des frictions à l’arrière-plan.

  La rencontre avec Stromae a elle aussi pâti de quelques rigidités. À l’époque, son tube Alors on danse cartonnait depuis l’automne, tandis que nous voguions sur le succès de L’École des points vitaux. J’aimais ce qu’il faisait, et réciproquement. Nous avons donc décidé de produire un morceau ensemble. Nous l’avons même enregistré, et pourtant, il n’a jamais vu le jour.

Il faut dire qu’il y avait déjà un historique entre la Sexion et lui. Des mois auparavant, nous avions eu un petit accrochage. À l’époque, nous enregistrions L’Écrasement de tête. Lui rappait encore et composait des instrus. Nous avions repéré l’une d’elles que nous voulions utiliser dans notre album. Nous étions emballés ! Avec sa maison de disques, il nous a appelés : « OK, vous pouvez utiliser le son, mais on vous le facture à tant. » La somme demandée n’était pas faramineuse, mais à l’époque c’était cher pour nous. Le membre de la Sexion d’Assaut qui leur avait répondu s’est énervé : « Non mais pour qui il se prend ?! » La conversation a fini en pugilat téléphonique. Je ne sais plus s’il y a eu insultes ou raccrochage au nez, mais en tout cas, on peut dire que ça s’est mal terminé. Nous n’avons pas utilisé l’instru.

  Et donc, quand, en 2010, Stromae m’a demandé pour un featuring, j’étais très enthousiaste, mais Dawala, qui leur avait gardé un chien de sa chienne, ne l’entendait pas de cette oreille : « Rappelle-toi, rappelle-toi… Rappelle-toi l’instru ! » Je suis quand même allé enregistrer le morceau. C’est là que Dawala a sorti son joker : « OK pour le featuring, mais ce sera 50 000 euros. » Un prix délirant ! À cette époque-là, Stromae ne pouvait pas se le permettre. Son manager est venu me voir : « Dawala est dur avec nous… » J’ai essayé de fléchir le Watiboss : nous avions déjà posé le son, nous kiffions… Rien à faire. Ce morceau, collector, n’est jamais sorti.Mais Stromae et moi sommes restés amis depuis ce jour. Quel personnage ! Le buzz qu’il a créé pour Formidable, faussement bourré dans les rues de Bruxelles, c’était un coup de génie absolu. Nous avons enfin pu collaborer sur son album Racine carrée.


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