Main photo Anonymous, c'est quoi ?

Anonymous, c'est quoi ?

  • Par Admin
  • 7532 vues

Anonymous n'a jamais été bien compris par le grand-public.
Tâchons d'expliquer le phénomène :

 

Anonymous, c'est avant tout une blague

« Anonymous » signifie « Anonyme » en langue de Shakespeare. Et de nombreux forums et fils de publication d'images (image boards) ont toujours proposé de publier en tant qu'anonyme.
C'est le cas de l'image-board 4chan, réputée depuis des années pour être et avoir été l'endroit le plus fou-fou du Net visible, voire l'endroit le plus caca pour les moins habitués.

À l'image du forum des 16-18 de Jeux-vidéos.com, mais à l'internationale, 4chan est et a été le quartier général des "geeks" oisifs cherchant à se défouler en bandes de compères à l'humour potache et caustique facile.

C'est du fait de l'affluence assez grande sur 4chan, que certains phénomènes de masse se produisent assez facilement dans un tel contexte : proposez un challenge improbable, et vous êtes à peu près sûrs de trouver au moins un nigaud assez barré pour relever le défi.

Comme vous vous en doutez, 4chan permettait (et permet toujours) de publier des réponses en tant qu'anonyme (« Anonymous », donc). Et cette fonctionnalité a toujours été utilisée pour ajouter un peu de mystère à des publications surprenantes, évidemment.
Si bien que ce nom « Anonymous » est devenu petit à petit un phénomène à lui tout seul sur 4chan, qui s'est mis à personnifier ce statut d'anonyme en formidable divinité du potache et de l'humour absurde.

Représentation d'un anonyme de 4chan
(« Boss final de l'Internet, craint, respecté »)

Mais c'est bien dans les raids que Anonymous s'est forgé une réputation de puissance vengeresse :

En effet, 4chan a servi très tôt de centre de recrutement facile pour les amateurs de déferlantes de farceurs plus stupides les uns que les autres. Vous vouliez faire une farce à un internaute ? Il suffisait de proposer votre plan rigolo sur le bon fil de publication et vous aviez dès lors une armée (parfois énorme) de déjantés prêts à jouer le jeu.

Parmi les raids célèbres des débuts du collectif de 4chan, on compte pas mal de harcèlement, dont quelques vengeances bien méritées… En fait, rien de très glorieux.

 

L'âme d'Anonymous, c'est sa lutte contre l'église de scientologie

Et puis un jour, Tom Cruise s'est mis à raconter sa vie de jeune converti à l'église de scientologie sur une vidéo YouTube. La chose a d'abord amusé 4chan, bien au contraire des leaders scientologues, à qui les âneries déblatérées par l'acteur dans cette vidéo n'ont pas du tout plu !

C'est alors que, comme à son ordinaire, toute l'église de scientologie s'est efforcé à étouffer l'affaire : censure des vidéos, désinformation, intimidations et même harcèlement face aux protestations des internautes déçus de cette omerta. Dès lors, 4chan s'est mis à découvrir l'ampleur des dérives sectaires et la puissance délétère de l'église de scientologie.

Et c'est bien devant la violence et la gravité des répliques sectaires que la blague s'est transformée en véritable bataille acharnée. Devant les risques évidents, les blagueurs potaches se sont petit à petit armés contre ces attaques, et ont alors posé les bases de ce qu'est devenu ensuite l'arsenal des groupes cybermilitants anonymes.

Anonymous était né.

 

Le lulz, un art à part entière

Contrairement à ce que l'on pourrait croire au vu de la tournure de l'histoire, Anonymous a peut-être gagné en expérience, mais n'a pas pour autant gagné en sérieux. Ce serait mal connaître la communauté de 4chan dont l'objectif n'a jamais changé d'un iota : tirer de n'importe quoi tout son potentiel de dérision afin d'amuser et de défouler le public averti. Car c'est bien là le cœur de 4chan : la dérision caustique nommée "lulz". Pour le lulz, le collectif a toujours théâtralisé ses actions, ses slogans, avec une ironie, un humour et une imagination débordants.

Leur auto-dérision fait tellement bien partie de ce jeu que le grand-public est toujours tombé dans le panneau au point que cela leur a valu (entre autres) ce célèbre titre de « machine à haine de l'Internet » (« Internet Hate Machine ») de la part de la chaîne Fox11, dans un reportage sur-alarmiste tout aussi célèbre sur 4chan.

Anonymous - Une machine à haine de l'Internet, faite par des hackers sous stéroïdes.

Les médias ont-ils d'abord diabolisé 4chan, ou ont-ils été victime de ses mises-en scènes certes totalement grotesques, mais bluffantes vu de l'extérieur ? Nous ne le saurons peut-être jamais.
Toujours est-il que cet art de la mise en scène et du bluff associé aux effets de masse de la communauté de 4chan, ont réussi à impressionner beaucoup de monde jusqu'à déstabiliser des entités puissantes telles que l'église de scientologie, les majors de l'industrie culturelle, des réseaux pédocriminels, le cartel de drogue El Gato, etc.

On en croirait presque que l'habit fait le moine, à voir comment ces incorrigibles communautés du lulz ont brillamment réussi à se faire passer pour des terroristes, des réseaux organisés de renseignement et de hackers en quête de vengeance pour le peuple… Car c'est bien l'image que le public finit par retenir de ce collectif.

 

Anonymous, un contre-pouvoir ?

Cependant, à force de faire croire aux gens ses formidables prétentions, Anonymous s'est donné les meilleures chances d'y correspondre. En effet, si n'importe qui peut être Anonymous et que ce collectif est sensé représenter un contre-pouvoir impressionnant vu sa publicité, alors il appelle par conséquent en son sein tous les réels potentiels acteurs d'un tel réseau.

Aussi, même si la publicité faite sur Anonymous fait croire que ses activistes anonymes sont tous des hackers, il est tout aussi irréaliste de rejoindre un postulat pessimiste qui les qualifieraient d'imposteurs sans exception. Certes, les vrais hackers et les vrais agents de renseignement compétents ne représentent pas leur majorité, mais force est de constater qu'ils y ont été au vu des réussites et coups d'éclat réalisés au nom d'Anonymous.

En témoigne aussi le progrès rapide en solidité et en résilience des réseaux d'activistes anonymes au fur et à mesure des opérations menées. C'est bien un indice qui tend à démontrer que le collectif a bénéficié de l'expérience technique de professionnels et d'initiés.

Une aptitude avérée

Les militants pour la liberté d'expression ont embrassé assez tôt le concept d'Anonymous, qui s'est vu rejoint par quantité de journalistes, d'indépendantistes et d'anarchistes en difficultés face à la censure. Mais aussi par un peu tous les types de militants qui tentent de défendre la population et de faire valoir ses droits contre de puissantes organisations, y compris des groupes de militants hackers, mals connus pour leur point de vue sur la liberté d'information, et qui initieront les internautes à leurs valeurs et aux actions ciblées au travers des moyens de communication.

Anonymous est ainsi devenu au fil du temps, un réseau mondial d'hactivisme social réel, s'inscrivant dans la position d'un contre-pouvoir au service de la défense populaire, et en particulier de la liberté d'information. S'alignant à l'objectif fixé par les fondateurs de Wikileaks et de celle de la liberté de la presse. Et c'est bien pour cette raison qu'Anonymous est tant solidaire du journalisme d'investigation et de la liberté de la presse que de Julian Assange, figure emblématique de la reconnaissance et de la protection des lanceurs d'alerte avec son audacieuse plateforme sécurisée de leak.

Si Anonymous est n'importe qui, qu'est-ce qui l'empêche de devenir n'importe quoi ?

Pour autant, ce mouvement pour les libertés populaires possède une force qui est aussi sa faiblesse : L'anonymat.
Et c'est bien là une composante essentielle à prendre en compte au sein de ce mouvement, qui n'a de cesse de lutter pour sa propre immunité.

La page d'un rançongiciel se revendiquant d'Anonymous.

Si Anonymous n'a pas de chef ni d'organisation autre que la naturelle hiérarchie de compétence, ce mouvement est à la merci de toutes les infiltrations, noyautages, récupérations et usurpations d'identité :

On ne compte plus les opérations "fakes" de tous bords, que ce soit des petits groupes de pirates, des infiltrations du FBI, des parti-pris dans des conflits politiques ou internationaux, ou encore de la mafia et du (cyber)banditisme en général… Certaines opérations ou démentis comme celui qui décourageait le doxing des réseaux pédophiles ou l'opération de 2011 qui voulait tuer Facebook font même encore débat des années après.

Si la grande perméabilité du collectif a fait sa force et lui a permis de grandir dans son expérience et ses tactiques, elle lui fait côtoyer des menaces assez énormes pour sa survie.
Pour autant, c'était aussi un risque qui a été présent dès le début face aux premières attaques de l'église de scientologie. Et le mouvement a réussi tant bien que mal à y trouver des parades.

Aujourd'hui, même si Anonymous cultive des idéaux identifiés, des principes de discernement et de résilience autonome, qu'est-ce qui l'empêcherait à l'avenir de s'éparpiller dans des luttes qui diviserait son identité ? Ou de s'engouffrer dans un combat partisan qui nuirait définitivement à son image ? Ou pire encore de se retrouver accusé (à tord ou à raison) d'être devenu une arme, un arsenal de technique de résistance clandestine au service du crime ?

En savoir plus :

4chan (Wikipédia FR)

Le 16-18 de JVC vu par un forumeur (Marianne.net)

Le lulz, un trolling entre sadisme et résistance (Hacking Social)

Témoignage d'une ex-scientologue à Sea Org (Paris Match)

Les références du mouvement Anon (KnowYourMeme) (EN)

L'esprit du mouvement Anon (Papergeek.fr) | L'éthique hacker (de Pascal Francq)

Ses actions les plus marquantes (L'internaute.com)

Wikileaks (Wikipédia FR) | Principes fondateurs de la plateforme (Anonymous-France.eu)


Posté dans Culture :: Phénomènes Internet
Admin
Admin

Cet article a vocation à n'être représentatif que de l'opinion de son auteur, bien qu'il ait été écrit dans un souci de réalisme. Toute critique constructive est la bienvenue.

Publications recommandées