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Lutte intégrée contre le taupin dans les cultures et prairies

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Stratégies agronomiques et biologiques pour une gestion durable

Le taupin (Agriotes spp.), dont les larves (vers fil-de-fer) attaquent les racines et tubercules de nombreuses cultures, est un ravageur majeur en pommes de terre, maïs, colza, et prairies, avec une pression croissante due aux restrictions phytosanitaires (lindane interdit en 1998, néonicotinoïdes en 2019, microgranulés limités en 2024) et aux conditions climatiques favorables (étés chauds et humides). Les discussions entre agriculteurs (2015-2025) et les données scientifiques révèlent des dégâts sévères : 20 % de pertes sur pommes de terre (17 ha), 90 % sur maïs (5 ha, stade 5-6 feuilles), et 10-20 % sur colza en levée. Cet article technique synthétise les stratégies de lutte intégrée contre le taupin, combinant diagnostic, interventions d’urgence, leviers agronomiques, et traitements biologiques, tout en intégrant les contraintes réglementaires (HVE 2025, fin des pyréthrinoïdes d’ici 2030) pour une gestion durable.

1. Biologie et diagnostic du taupin

  • Cycle biologique : Les larves (Agriotes lineatus, A. sputator) vivent 3-5 ans dans le sol, attaquant racines, collets, et tubercules en conditions chaudes/humides (15-25°C, printemps-été). Activité maximale : germination à 2-6 feuilles pour maïs/colza, post-défanage pour pommes de terre.
  • Symptômes :
    • Pommes de terre : Galeries dans les tubercules (1-2 mm, 1-5 cm), plants flétris (rares), 4-5 larves/motte.
    • Maïs (V5-V6) : Plants jaunis/absents (90 % pertes), 4-8 larves/pied au collet/racines.
    • Colza (levée) : Flétrissement, ronds de plantes mortes, larves aux racines.
    • Prairies : Populations élevées (5-10 larves/m²) après >10 ans, révélées par cultures sensibles.
  • Facteurs de risque :
    • Historique prairial (>10-20 ans), rotations courtes (maïs, blé, ray-grass).
    • Sols humides, températures >20°C.
    • Défaut d’insecticides efficaces (Cruiser, Belem limités à forte pression).
  • Diagnostic :
    • Piégeage : Phéromones (printemps, 5-10 pièges/ha) pour estimer la densité adulte.
    • Sondages : 5 larves/m² = seuil critique
    • Distinction : Scutigérelles (translucides, maïs/colza) vs taupins (opaques, fil-de-fer).

2. Impact économique et réglementaire

  • Pertes :
    • Pommes de terre : 20 % (10-15 t/ha, 25 000-40 000 €/17 ha), plus tri (10-20 €/h).
    • Maïs : 90 % (<10 q/ha, 17 500-22 500 €/5 ha).
    • Colza : 10-20 % (5-10 q/ha, 2500-5000 €/10 ha) 
    • Prairies : Pression latente, révélée par cultures sensibles (pommes de terre, maïs).
  • Réglementation :
    • Interdictions : Lindane (1998/2001), néonicotinoïdes (2019), chlorpyrifos (2020), Mesurol (2019), microgranulés restreints (2024) ; 
    • HVE 2025 : Favorise rotations, couverts, et travail du sol sur insecticides.
    • Perspective : Fin des pyréthrinoïdes d’ici 2030. 

3. Stratégies de lutte intégrée

La lutte combine interventions d’urgence (curatives) et leviers préventifs sur 3-5 ans, adaptés à chaque culture et au cycle du taupin.

3.1. Interventions d’urgence

Pommes de terre (post-défanage) :

  • Arrachage rapide : 7-10 jours après défanage pour limiter les galeries.
  • Tri/stockage : Lavage pour détecter galeries, vente avant Noël.
  • Alternative : Couverts moutarde post-récolte pour perturber le cycle (100-150 €/ha).
    Maïs (V5-V6) :
  • Resemis : Variété précoce (FAO 200-250) si irrigation, fin juin (200-300 €/ha). Sinon, abandon et couvert moutarde.
  • Travail du sol : Déchaumage sec post-récolte pour exposer les larves (30-50 % efficacité).
    Colza (levée) :
  • Resemis : Variété précoce (ex. : DK Exstar) si <20 plants/m², mi-septembre (100-150 €/ha).
  • Couverts : Moutarde ou trèfle blanc post-récolte pour réduire les populations.
    Prairies : Aucun traitement curatif. Conversion en culture après rotations répulsives.

3.2. Leviers agronomiques

  • Rotations :
    • Cultures répulsives : Moutarde, féveroles, luzerne, trèfle violet (1-2 ans, 100-150 €/ha) réduisent les populations via glucosinolates ou faible appétence.
    • Cultures pièges : Avoine (engrais vert, détruite mécaniquement) attire les larves avant culture non sensible.
    • Éviter : Maïs, blé, ray-grass, pommes de terre après prairie.
    • Plan (5-6 ans) :
      • Année 1 : Moutarde/féveroles.
      • Année 2 : Colza/luzerne.
      • Année 3-4 : Trèfle/blé.
      • Année 5 : Culture sensible (pommes de terre, maïs, colza).
  • Travail du sol :
    • Déchaumage sec : Été, expose les larves à la dessiccation (30-50 % efficacité).
    • Labour : Enfouit les larves (40-60 % efficacité) avant moutarde ou culture sensible 
  • Pratiques culturales :
    • Semis adaptés :
      • Pommes de terre : Début avril (>10°C).
      • Maïs : Fin mai (>15°C) 
      • Colza : Mi-août (>10°C) 
    • Densité élevée : Pommes de terre (40 000-45 000 plants/ha), maïs (90 000-100 000 grains/ha), colza (50-60 graines/m²) pour compenser pertes.
    • Couverts : Moutarde/trèfle blanc en interculture perturbent le cycle 
    • Fertilisation : Starters NP (pommes de terre : 100 kg/ha ; maïs : 18/46, 90 kg/ha ; colza : 50 kg/ha) boostent la croissance.
  • Cochons : Parcours porcin (1 an, 200-300 €/ha) avant culture sensible consomme larves, mais efficacité contestée.

3.3. Traitements chimiques et biologiques

  • Karate 0.4 GR (lambda-cyhalothrine) : 10-15 kg/ha (colza, maïs). Efficacité : 60-70 %. Coût : 30-40 €/ha.
  • Sonido (thiaclopride) : Enrobage (maïs, colza). Efficacité : 50-60 %. Coût : 15-20 €/ha.
  • Cruiser (thiaméthoxame) : Inefficace à forte pression, interdit 2019.
    Biologiques :
  • Moutarde (couvert) : Glucosinolates répulsifs.
  • Lisier de porc : Effet répulsif supposé, non quantifié.
  • Entomopathogènes : Champignons (ex. : Beauveria bassiana) ou nématodes (Steinernema spp.) en test, efficacité 40-60 % à faible pression, coût 50-100 €/ha.
  • Sel/chlorure de potassium : Marginal, risque de salinisation.

4. Contraintes et coûts

  • Réglementaire : HVE 2025 limite les insecticides au profit de rotations/couverts. Interdictions (lindane, néonicotinoïdes, Mesurol) et fin des pyréthrinoïdes (2030) réduisent les options 
  • Économique :
    • Pertes : Pommes de terre (25 000-40 000 €/17 ha), maïs (17 500-22 500 €/5 ha), colza (2500-5000 €/10 ha).
    • Interventions :  resemis (100-300 €/ha), rotations (100-150 €/ha), labour (50-70 €/ha).
    • Bio : Couverts/lisier (100-200 €/ha), entomopathogènes (50-100 €/ha), faible efficacité.
  • Bio : Solutions limitées (moutarde, lisier), rendant maïs/pommes de terre risqués sans innovations.

5. Recommandations pour 2025-2030

Pour gérer le taupin sur cultures sensibles (pommes de terre, maïs, colza) et prairies :

2025 (urgence) :

  • Diagnostic : Pièges à phéromones (printemps), sondages (5 larves/m² = seuil). Distinguer scutigérelles.
  • Pommes de terre : Arrachage rapide (7-10 jours post-défanage), tri/lavage, vente avant Noël. Couverts moutarde post-récolte.
  • Maïs : Resemis (FAO 200-250, fin juin) ou abandon (couvert moutarde). Déchaumage sec post-récolte.
  • Colza : Resemis (variété précoce, mi-septembre) si <20 plants/m². Couverts moutarde/trèfle blanc.
  • Prairies : Éviter cultures sensibles avant 2-3 ans de rotations.

2026-2029 (prévention) :

  • Rotation : Moutarde/féveroles (2026), luzerne/colza (2027), trèfle/blé (2028). Culture sensible en 2029.
  • Sol : Déchaumage sec (étés 2025-2028), labour avant moutarde ou culture sensible.
  • Semis : Précoce/tardif (pommes de terre : avril ; maïs : fin mai ; colza : mi-août). Densité élevée.
  • Traitement : Karate GR ou Sonido au semis (maïs, colza). Tester entomopathogènes (Beauveria, Steinernema) sur parcelles pilotes.
  • Couverts : Moutarde/trèfle blanc chaque interculture.
  • Suivi : Piégeage annuel, cartographie des ronds (drones). Analyse scutigérelles/nématodes.
  • Bio : Privilégier moutarde/luzerne, tester lisier/cochons sur parcelles pilotes.

6. Références scientifiques

7. Conclusion

Le taupin, exacerbé par les prairies, les restrictions phytosanitaires, et les étés chauds, menace la rentabilité des pommes de terre (25 000-40 000 €/17 ha), maïs (17 500-22 500 €/5 ha), et colza (2500-5000 €/10 ha). Les interventions d’urgence (resemis, déchaumage) sont peu efficaces sans leviers préventifs. Une lutte intégrée sur 5-6 ans, combinant rotations (moutarde, féveroles, luzerne), travail du sol (déchaumage sec, labour), semis adaptés, et solutions biologiques (entomopathogènes, couverts), est cruciale. En bio, la faible efficacité des solutions (lisier, moutarde) rend les cultures sensibles risquées. Avec la fin des pyréthrinoïdes d’ici 2030, les leviers agronomiques et innovations biologiques (ex. : Beauveria bassiana, Steinernema spp.) seront incontournables pour une gestion durable.


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